Le pouvoir de l'encre
“Show me a man with a tattoo and I'll show you a man with an interesting past”, Jack London
Un peu d'Histoire
Le tatouage a marqué l'histoire à travers le monde, comme en témoignent la conservation de peaux momifiées et les découvertes archéologiques.
Bien que les voyages du capitaine James Cook dans le Pacifique Sud aient importé le mot polynésien "tatau" (comme «tattoo», plus tard changé en «tatouage»), le tatouage est loin d'être une pratique novatrice en Occident. Par exemple, en Europe, on en retrouve des traces dans la Grèce antique ou au Moyen-Âge (souvenirs des pèlerinages chrétiens en Terre Sainte).
Aux Etats-Unis, le premier tatoueur professionnel est Martin Hildebrandt, un immigrant allemand arrivé à Boston, en 1846. Entre 1861 et 1865, pendant la guerre de Sécession, il tatoue les soldats des deux camps.
En Grande-Bretagne, au début des années 1880, Sutherland Macdonald est le premier tatoueur professionnel à recevoir des clients dans un studio dédié à son métier. Le tatouage est un processus coûteux : il devient donc une marque de richesse et de pouvoir pour les têtes couronnées d'Europe.
Depuis les années 1970, le tatouage s'est imposé comme une pratique artistique et culturelle universelle. On retrouve des tatoué.e.s appartenant à tous les genres, à des catégories socio-économiques variées et à diverses classes d'âge. Pour beaucoup de jeunes, le tatouage a pris un sens résolument différente de celle des générations précédentes. La représentation du tatouage a subi une redéfinition drastique : il est passé d'une forme de déviance à une forme d'expression socialement acceptée.
C'est à la fin des années 1990 que le tatouage connait un regain de popularité dans de nombreuses parties du monde, notamment en Europe, au Japon, en Amérique du Nord et en Amérique Latine. La popularité de la culture tattoo a engendré un afflux de nouveaux artistes issus de formations techniques pointues comme les beaux-arts ou les arts déco. Le succès du tatouage va de pair avec l'amélioration permanente des pigments colorés et de l'équipement utilisés par les professionnels, ce qui a conduit à un perfectionnement de la qualité des tatouages réalisés.
Dans les années 2000, les tatouages deviennent omniprésents au sein de la culture pop. Les ornements exhibés par des personnalités publiques engendrent une banalisation du marquage corporel. Les tatoués ne sont plus une minorités considérées comme marginale. Au contraire, ils sont visibles sur les écrans de cinéma, dans le milieu de la musique et même sur les podiums de défilés de mode.
Récemment, des expositions d'art contemporain ont présenté le tatouage en tant qu'art graphique à part entière.
Ainsi, en 2009, à Chicago, l'exposition Freaks & Flash a mis en lumière le travail et la carrière de tatoueurs de légende comme George Burchett - surnommé "the King Of Tattooists" - Samuel O’Reilly, Milton Zeis ou encore Cliff Raven.
En France, c'est au Musée du Quai Branly que l'exposition Tatoueurs, Tatoués revient sur les sources du tatouage et présente le renouveau de ce phénomène désormais permanent et mondialisé. Ouverte pendant 18 mois (de mai 2014 à octobre 2015), l’exposition aura été un événement culturel majeur. « Le tatouage est devenu un phénomène majeur de la vie sociale dans toutes les cultures, explique Stéphane Martin, président du musée du quai Branly. Dans une société où entre 30 à 40 % de la population mondiale est tatouée, nous ne pouvions pas aborder le tatouage comme si c’était une découverte récente. Le sujet n’est donc pas inédit ; ce qui est inédit, c’est la façon dont le musée a traité ce sujet, de façon scientifique, au regard de la mondialisation ».
Tatouage et féminisme(s)
Au cours des trois dernières décennies, le tatouage est devenue une pratique qui a traversé les frontières sociales en remodelant les dynamiques de pouvoir en matière d'égalité. En tant que membres d'une contre-culture, les personnes tatouées ont commencé à afficher leur art corporel comme des signes de résistance aux normes dominantes (l'homme blanc, l'hétérosexualité cisgenrée, l'intégration sociale, le capitalisme...). Ainsi, l'histoire du tatouage est consubstentielle à celle des minorités dominées.
L'exemple du (des) féminisme(s) illustre parfaitement ce propos. Dans son ouvrage Bodies of Subversion : A Secret History of Women and Tattoo (1997), Margot Mifflin montre comment la pratique du tatouage est devenu une arme esthétique révolutionnaire pour la cause des femmes. Les premières femmes tatoués étaient des objets de curiosité dans les freak shows (XIXème siècle) pour attirer la foule.
Maud Wagner, 1907
A partir des années 1990, les femmes utilisent le tatouage comme une arme de revendication symbolique de leur empowerment. Elles militent pour leur indépendance, pour le droit inaliénable de disposer librement de leur corps et pour leur émancipation de la domination patriarcale.
Plus récemment, les sublimations corporelles que les femmes entreprennent après une expérience traumatisante (abus ou pathologies comme le cancer du sein) tendent à prouver que le concept de "femme" se réinvente et s'affranchit de ses entraves séculaires.
Tatoo after breast cancer surgery
Ainsi, la banalisation et l'acceptation du tatouage dans la culture contemporaine ont été concomitantes avec l'avènement de nouvelles représentations du genre féminin (hétéro, lesbiennes, Trans, bisexuelles, intersexes, assexuelles, pansexuelles...).
"Because I believe with my whole heartmindbody that girls constitute a revolutionary soul force that can, and will, change the world for real" - a Riot Grrrl Quote
Tatouage et culture queer
Après la Seconde Guerre mondiale, aux États-Unis, alors que les tatouages étaient l'apanage des marins et des criminels, la culture gay pré-Stonewall se cache dans l'ombre des placards métaphoriques.
Au cours des dernières décennies, la communauté LGBTQIA et le tatouage sont entrés sous le feu des projecteurs. Ils ont pris pied comme éléments de contre-culture peu à peu tolérés et acceptés, malgré les mouvements d'opposition anti-progressistes et rétrogrades.
D'après Noah Michelson, rédacteur en chef de The Huffington Post Gay Voices, cette normalisation est un résultat direct de la visibilité de ces minorités actives. "Je pense que les normes socio-culturelles deviennent plus permissives, comme le montre notre manière de percevoir et d'intégrer les personnes que nous pouvons avoir rejetées par le passé", dit Michelson. "Je pense que cela inclut les personnes queer et les personnes tatouées. Plus elles sont visibles, moins nous les percevons comme étranges et déviantes".
Ruby Rose
Michelson parle de son expérience personnelle en se définissant comme un homme queer ET tatoué. Il se tatoue lui-même, et son torse, son dos et ses bras sont presque intégralement encrés. Il a tout récemment commencé à se faire piquer les jambes dans l'ultime but d'orner tout son corps (cf photo N&B ci-dessous).
Michelson, représentant de la sous-culture gay contemporaine, s'encre dans un acte de rébellion et d'expression de soi. «J'ai toujours voulu être tatoué", dit-il. «Mes parents étaient tout à fait contre. Tous mes tatouages ont une signification. En tant que personne queer, j'ai senti que je pouvais exprimer les histoires de ma vie dont j'avais honte. Avoir le courage de montrer les symboles de mon existence et de les exposer sur mon corps, où tout le monde peut les voir, représente une saignée. Ils sont, dans un sens, une manière d'extérioriser ce que contient mon coeur en encrant leur portée allégorique aux yeux de tou.te.s".
Noah Michelson
Les tatouages sont omniprésents dans la sous-culture queer et sont une ressource riche de sens au service de la visibilité intra ET inter-communautaire.
D'une part, ils ont une portée de plus en plus symbolique pour proclamer fièrement le coming out. La réalisation d'un tattoo libère le "moi" authentique, dans sa singularité et son individualité. Il s'agit d'un acte éminemment personnel pour s'affranchir du conformisme sociétal dominant.
Rafael Reyes, chanteur du duo chologote Prayers
D'autre part, certains tatouages représentent des emblèmes intracommunautaires décisives dans le processus de reconnaissance mutuelle d'appartenance à la minorité LGBTQIA. Au début du XXème siècle, les lesbiennes s'offraient des bouquets de lavande pour communiquer leur orientation sexuelle, car il était impossible de le dire d'une autre manière. Aujourd'hui, c'est l'encre qui occupe cette fonction de communication non verbale. Les tatouages affichent des symboles reconnaissables par tout.e.s. De ce fait, chacun.e peut trouver un chemin vers l'autre, malgré la désapprobation, la violence et les persécutions juridiques et sociales à l'égard des sexualités non-straight.
Skylar Kergil, youtuber, musicien et militant Trans
Les tatouages présentés dans le diaporama suivant comptent parmi les plus répendus dans la communauté LGBTQIA (source : San Diego LGBT Weekly)
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