Gender-bending Halloween : les dessous des masques.

Halloween, fête païenne par excellence, sera, comme chaque année, le théâtre de toutes les excentricités en terme de déguisements insolites et de mises en scène troublantes. Issue du folklore populaire, le 31 octobre - dernier jour du calendrier celte traditionnel - est une date hors du temps n'appartenant ni à l'année qui se termine, ni à celle qui s'annonce, permettant aux âmes des mort.e.s non-réincarné.e.s de retrouver le monde des vivant.e.s et d'errer autour de leur demeure. Pour échapper aux mauvais esprits, les vivant.e.s emploient une méthode infaillible : le déguisement ! Dissimulé.e.s sous l'apparence de monstres, de sorcières, de squelettes ou de fantômes, les vivant.e.s échappent ainsi aux suppliques des défunt.e.s et aux mauvais sorts.

Il semble donc que, le soir d'Halloween, l'important soit d'incarner un être terrifiant et repoussant pour éloigner les esprits hantés. Halloween : honneur à la terreur ? Oui, mais pas seulement ! Car cette fête tend à se "glamouriser", même si les puristes restent attaché.e.s au concept d'horreur. Le champ de tous les possibles est ouvert pour célébrer la "Nuit des Masques" (coucou Carpenter !) : un costume d'Halloween, ce n'est plus uniquement un déguisement effrayant, mais une parure artistiquement recherchée ou un hommage à un personnage ou une personnalité inspirante. Une vague syncrétique défile dans les contrées où l'on commémore cette fête, et l'on peut voir un peu de tout :

des créatures so creepy...

...des sorcières...

...des cosplayers (ici Deadpool et Harley Quinn)...

...des furries...

Ainsi, Halloween est devenue une célébration où l'expression de soi par le maquillage et le déguisement n'a de limites que celles de l'imagination et de la créativité. C'est pour cela que l'auteur.e et activiste genderqueer américain.e Jacob Tobia en parle comme d'une fête incroyable. Dans une vidéo réalisée pour NBC News (Gender-Bending Halloween Dos & Don'ts | Queer 2.0 | NBC Out), iel souligne l'empowerment procuré par la liberté d'expression vestimentaire d'Halloween : "combien de fois par an est-on autorisé.e et encouragé.e à se vêtir de manière extravagante ?".

Jacob Tobia met ensuite le doigt sur un fait extrêmement intéressant et éloquent : "Pour les personnes Trans et non-binaires, Halloween peut aussi être vécu comme un moment malséant et inconfortable, parce que des millions de gens [dont des personnes straight et/ou non déconstruites, ndlr] intègrent à leur costume des éléments caractéristiques de la fluidité des genres ou du travestissement. En règle générale, je soutiens ces initiatives, mais le problème, c'est qu'elles ne se valent pas toutes. Par exemple, pour certaines personnes genderfluid, Halloween est un moyen d'explorer les différentes facettes de leur personnalité, de s'amuser et de se lâcher en portant la jolie jupe qu'iels ont toujours voulu essayer. [...] Malheureusement, il y a d'autres personnes qui sont malveillantes au regard de tout cela : qui n'a pas déjà vu un mec cisgenre s'habiller avec des attributs de la féminité et faire des blagues bien lourdes sur le travestissement ? C'est teeeeellement drôle de voir un mec porter une robe, c'est hilarant qu'un garçon se maquille... Grande nouvelle : ce n'est PAS MARRANT de se moquer des personnes genderqueer en copiant les codes de la non-binarité et de jouer aux drag queens ou aux drag kings. Non, ce n'est JAMAIS DRÔLE. Parce que les queer sont des personnes fabuleuses, magnifiques et courageuses".

D'après Jacob Tobia, il est clair que le gender-bending est - et doit rester - l'apanage des personnes queer car cette pratique est une arme de lutte contre les conventions hétéronormées. En effet, les mouvements queer militent contre toutes les catégories d'identités de genre et d'orientations (romantiques et sexuelles) imposées par les normes sociales dominantes dans le but de libérer les individus des prisons identitaires. En effet, les termes "femmes" et "hommes" et l'expression des masculinités et de la féminité recouvrent des réalités tellement relatives dans le temps et dans la diversité des sociétés qu’ils n’ont pas de sens sur le long terme. Comme l'écrit Paul B. Preciado, "[l’hétérosexualité], loin de surgir spontanément de chaque corps nouveau-né doit être ré-inscrite ou ré-instituée à travers des opérations constantes de répétition et de ré-citations des codes (masculins et féminins) socialement investis comme naturels". C'est pour cela que le queer défend les concepts de performance et de performativité : l'identité d'une personne n'est pas déterminée par nature et ne peut être imposée par des conventions cishétéropatriarcales car elle se joue en permanence par des comportements et des attitudes qui réinscrivent le genre de manière libre et authentique.

Alors oui, Halloween est une fête incroyable car, le temps d'une nuit, chacun.e est libre d'expérimenter l'étendue du spectre du genre qui, loin d'être réducteur, est un continuum entre le soi actuel et le soi en puissance. Le gender-bending est une des manifestations de la performance du genre et, en ce sens, cette pratique est un réel levier d'empowerment. A condition de ne pas oublier qu'il s'inscrit dans une lutte globale qui ouvre des lignes de fuite face à la normalisation des identités produites par une sexopolitique liberticide. Alors, dear straight people, comme le conclut Jacob Tobia, "avant vous habiller en robe pour Halloween, je veux que vous preniez le temps de vous regarder dans un miroir et que vous vous demandiez pourquoi vous choisissez ce déguisement. Si c'est pour vous moquer et pour rigoler, pensez à un autre costume. Mais si c'est pour exprimer ce qu'il y a de plus fabuleux en vous, alors allez-y !".