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Ciné-Marges-Club !

Institution iconoclaste dans le paysage culturel bordelais, l'association Cinémarges milite pour la visibilité de films indépendant, longs et courts, d’ici et d’ailleurs. Le mot d'ordre ? Représenter les marges et la diversité des désirs, des identités, des genres et des sexualités. L'année 2016 marque un tournant dans l'histoire de Cinémarges qui transitionne de Festival à Ciné­‐club.

Esther C., co-fondatrice du festival et actuelle Présidente de l'association, revient sur les moments phares qui ont marqué Cinémarges et nous donne quelques pistes concernant les projets à venir.


©Ciné-Marges-Club


RETOUR SUR LA GENESE DU FESTIVAL

Le projet est né en 2000 sous le nom de la "Quinzaine du cinéma LGBT". Dans quel contexte a-t-il vu le jour ? Aucune association LGBT n'était présente dans le paysage culturel à Bordeaux. La culture est politique bordel !. Je suis rentrée à la Lesbian & Gay Pride en 1998 pour les beaux yeux de la présidente, certes, mais aussi avec un appétit immense pour la culture gay et lesbienne en pleine effervescence. A l'époque on ne disait pas encore LGBT , on se disait pédés, gouines, féministes..., on allait au Festival gay et lesbien de Paris, à Cinéffable et à Créteil (Films de femmes). A peine arrachés aux années Sida, l'enjeu était la sortie du placard, le droit à la différence, le retournement de l'insulte en fierté (Pride) : We are queer, we are here and we are fabulous ! J'ai investi le cinéma en tant qu'art populaire pour que les questions de genres et de sexualités soient débattues sur la place publique, dans les cinémas du centre ville. Si l'on considère le cinéma comme un vecteur de normes et d'idéologies, nous avions besoin de contre-balancer les représentations straights en montrant des films qui nous représentaient vraiment et avec sincérité. C'est pour cela que les premières éditions de la Quinzaine de cinéma gay et lesbien (puis LBGT) ont fait la part belle à des films de l'auto-représentation, enracinés dans un vécu singulier, avec des cinéastes comme Ducastel et Martineau, Patrice Chéreau, Maria Maggenti, Mohamed Camara (premier film gay africain). Le deuxième axe fort était, et est resté, le décryptage de l'histoire du cinéma, dont le film The Celluloid Closet est emblématique. Relire le cinéma, queeriser la culture dominante, reconstruire notre histoire. Les invitations de sociologues, philosophes, psy, universitaires en tous genres, ont été des atouts majeurs dans la réflexion que mène le festival.


©Cinémarges 2011

Comment t'y es-tu prise pour trouver des appuis, des partenaires et des financements ?

La porte s'est ouverte au cinéma Jean Vigo et au Jean Eustache, mais il s'agissait uniquement de soirées ponctuelles autour de la Pride en juin. Quand le cinéma Utopia a ouvert, une équipe super motivée nous a offert une vitrine (un vitrail !) qui dépassait nos espérances ! La Quinzaine est née avec 9 films et une séance de courts-métrages, on a fait 1800 entrées la première année, presque le double la suivante. Dés le début nous avons associé des bars et des boites gays. Au fil des ans, je suis allée solliciter d'autres acteurs culturels pour développer le projet hors les murs, en librairie, en bibliothèque, à la fac, etc. On a cherché des financements privés (établissements gays) et publics (Conseil Régional puis Départemental) qui n'ont pas vraiment augmenté en 15 ans (sic!). La Mairie de Bordeaux nous a contacté il y a quelques années car on ne les sollicitait pas. Il faut dire que le projet a voulu rester bénévole, indépendant, voire radical. L'écueil est sans doute une équipe inconstante et un budget minimal. Cependant, nous avons gagné la confiance de nos partenaires et nous comptons (pas pour des prunes) sur la scène culturelle locale.

©Cinémarges 2010

Lors des premières éditions, le public était-il connaisseur en terme de thématiques alternatives (genres, identités, sexualités...) ou était-il composé de cinéphiles curieux ?

Nous n'avons jamais mené d'enquêtes-spectateurs, mais on a vu les cinéphiles, habitué-e-s d'Utopia, côtoyer des publics plus directement concernés par nos thématiques, attendre le festival chaque année comme une vraie manne. Je crois qu'on avait un public assez fidèle qui s'est construit une culture queer, en même temps que nous, à coup de Marie-Hélène Bourcier, Beatriz Preciado (depuis, connu en tant que Paul Preciado, ndlr), Elsa Dorlin, Eric Macé, Les Panthères roses, mais aussi avec tou-te-s les cinéastes majeurs des 3 dernières décennies : Carole Roussopoulos, Lionel Soukaz, Jacques Nolot, Patrice Chéreau, Catherine Corsini, André Téchiné, Vincent Dieutre, François Ozon, Christophe Honoré ou encore Todd Haynes, Derek Jarman, Isaac Julien, Gus Van Sant, Gregg Araki, Rose Troche, Bruce Labruce, Léa Pool, R. Epstein et J. Friedman, Ferzan Özpetek, Jamie Babbit, Eytan Fox, João Pedro Rodrigues, Sébastien Lifshitz, John Cameron Mitchell, Panos Koutras et enfin Céline Sciamma...


©Cinémarges 2012

Que retiens-tu de ces débuts ?

Au-delà des rencontres intellectuelles et humaines, j'ai fait des découvertes de films incroyables. Cela n'a pas été facile de gagner la légitimité de programmer des films, en tant que "militante de base". Je n'ai pas fait d'études de cinéma. M'investir dans ce projet m'a ouvert un autre univers et aujourd'hui j'en ai fait mon métier (la diffusion) !


L'ÉCLOSION D'UN FESTIVAL MILITANT INDÉPENDANT

En 2005, c'est la première édition officielle de Cinémarges. Comment expliques-tu ce changement d'identité ? Quelle était la démarche ? Il a fallu couper le cordon avec la LGP, nos ambitions différaient trop. Il fallait aussi faire de ce projet un véritable festival indépendant, gagner en reconnaissance dans le secteur culturel et cinématographique. La LGP devait fédérer le plus grand nombre, autour de mots d'ordre qui devenaient de plus en plus consensuels. Un festival queer a le devoir d'interroger la norme et de célébrer nos différences. Mélanie et moi avons créé une nouvelle association. Le choix du nom Cinémarges marque ce virage (à gauche), convaincu que c'est dans les marges que s'enracine la créativité. Il y a aussi un fort intérêt pour les productions indépendantes, les films rares et inédits, audacieux par la forme... Et moins pour les récits édulcorés des films formatés qui ont fleuri depuis une dizaine d'années sur l'autel du droit à l'indifférence.


©Cinémarges 2014

Sur quoi se fonde l'équipe de Cinémarges pour proposer des thématiques différentes lors de chaque édition ? On prospecte des films de l'actualité, certains nous inspirent des thématiques, que l'on complète ensuite avec des films qui font lien. Parfois on part d'une envie de lecture queer particulière et on se met en quête de films qui vont donner du grain à moudre, par exemple la mémoire de l'activisme, le corps queer, la Black resistance, freaks & queers, le féminisme pro-sexe, les écrivains en marge, les Drags, les femmes à la caméra, le pas-sage adolescent, les icônes queers, etc. D'autres fois c'est l'occasion d'offrir des cartes blanches, ou bien encore des focus à des réalisateurs (Jacques Nolot, Carole Roussopoulos, Joao Pedro Rodriguez, Cheryl Dunye, Yann Gonzales).

Quelle(s) a/ont été l'/les édition(s) la/les plus marquante(s) ? Ton/tes meilleur(s) souvenir(s) ? Je crois que j'aime toutes les éditions, pour des raisons différentes, pas une à jeter ;) J'ai beaucoup aimé nos 10 ans, à la fois année rétrospective, avec un hommage au New Queer Cinema d'un côté et aux activistes de l'autre... Les uns ne nourrissent-il pas les autres ? Sur le visuel j'avais fait se caresser Hélène Hazera (militante du Fhar, Front Homosexuel d'Action Révolutionnaire) et Delphine Seyrig (actrice française, héroïne entre autres d'Alain Resnais, Marguerite Duras et François Truffaut au cinéma, ndlr) : tout est dit ! Sans doute, une de mes éditions préférées, plus récemment, est celle où nous avons pris le plus de plaisir à travailler en équipe, en 2013. On s'est tou-te-s traveloté-e-s ! Une cuvée particulièrement riche, côté cinéma comme côté rencontres, avec une vraie synergie artistique (théâtre, ateliers, performances...).


©Cinémarges 2009

En tant qu'organisateurE - et Présidente - d'un festival de cinéma alternatif, qu'est-ce qui est le plus gratifiant ? Et le plus difficile ou décevant ? Le plus gratifiant, c'est l'accès à des centaines de films que je n'aurais sans doute jamais découverts sans l'excuse du festival. Bien sûr, les rencontres avec des invités au poil (j'ai pas dit à poil !). Dans les étapes de préparation, c'est assez jouissif quand on arrive à négocier un film auquel on croit, que tout s'emboîte, et qu'on commence à entrevoir la cohérence de la programmation. C'est un peu comme gagner à Mancraft. Et puis bien sûr, le jour J, quand le public est au rendez-vous et sort avec le smile des séances qu'on a concocté avec amour ! Le plus difficile est la coordination d'un projet culturel ambitieux mais fauché et bénévole. C'est y consacrer tout son temps libre et ses nerfs, pendant 6 mois de l'année... pour finir par passer pour une despote auprès de son équipe.


©Cinémarges 2013

DU FESTIVAL AU CINE CLUB


Cette année 2016 est marquée par la transition du festival au format ciné-club. Qu'est-ce qui t'a amené à révolutionner le format de Cinémarges ? Quelles sont tes attentes ?

Pas de révolution, mais évolution vers un projet plus light et plus régulier, né de la frustration de ne pas pouvoir faire une proposition au fil de l'eau, au gré des opportunités, des coups de coeur dans les films de l'actualité entre autres. Et puis des invités à chaque fois pour nourrir les échanges, questionner la norme et l'histoire des représentations des genres et sexualités : cela reste le moteur de Cinémarges. On espère que le public suivra !


A ce jour, nous avons eu le plaisir de participer à deux Ciné-Marges-Club : CAROL de Todd Haynes le 13 janvier et TANGERINE de Sean Baker une semaine plus tard. Comment s'est construite la programmation ?

Nous sommes deux de l'équipe, avec Marine, à travailler dans l'exploitation. Aussi, on surveille les line-up des distributeurs, et on piste les sorties de films LGBT. Faut-il encore qu'ils nous plaisent et plaisent à nos salles partenaires (Utopia et Jean Eustache). Pour les 2 premières séances, c'est un peu particulier. En bonne fan de Todd Haynes j'avais repéré CAROL mais impossible de le voir en amont (les gros distributeurs font de la rétention), aussi quand Sye-Kyo Lerebours (thésarde en Cinéma à Bordeaux) m'a proposé de le présenter, on a pris le risque d'organiser une rencontre le jour de la sortie. Risque mesuré, ça sentait le chef d'oeuvre !Quant à TANGERINE, une de nos nouvelles recrues à Cinémarges était tellement emballée après Deauville, qu'on lui a fait confiance. Les questions communautaires qui croisent la question trans sur fond de conte de fée déjanté, on prend ! .... Et là aussi, on a eu raison.C'est toujours un pari la programmation, il faut faire l'épreuve du public !


©Ciné-Marges-Club #2, TANGERINE

CAROL : en quoi cette adaptation du roman de Patricia Highsmith est-il "LE film lesbien de la rentrée" ? Depuis 2-3 ans, il y a une telle recrudescence de personnages lesbiens au cinéma et à la TV, que cela dépasse l'effet de mode. Il y a l'avant La vie d'Adèle et l'après, je crois. Sans cette palme d'or & co, est-ce que Catherine Corsini aurait osé réaliser La belle saison , son film le plus personnel (à 59 ans) ? Il y a aussi une plus grande visibilité, avec notamment les coming out de stars, comme Adèle Haenel, Kristen Stewart et Ellen Page. D'ailleurs cette dernière se partage l'affiche de FREELOVE avec Julianne Moore (oh combien égérie de réalisateurs gays), dans un film lesbien malheureusement trop formaté, sorti en février. (lire à ce propos la critique du site féministe ledeuxiemeregard.com).

Si les lesbiennes se reconnaissent ou pas dans les représentations véhiculées par ces images, c'est une autre question... Aujourd'hui il y a une plus grande diversité. Si on considère qu'un film lesbien est un film dont le personnage principal est lesbienne et dont l'un des sujets mêmes du film est sa sexualité, alors oui CAROL est LE film lesbien de la rentrée, mais pas le seul de l'année !

©Ciné-Marges-Club #1, CAROL

Un nouveau rendez-vous pour le Ciné-Marges-Club a été annoncé sur la page Facebook de l'association. Peux-tu m'en dire plus ? Le prochain Ciné-Marges-Club aura lieu le 22 mars au Jean Eustache, autour d'une sélection de courts-métrages français, dont le fil conducteur serait : gouines et pédés des champs, même si on ne va pas le présenter comme ça. On a l'opportunité d'accueillir un des réalisateurs qui a tourné «Si la photo est bonne» dans les Landes, avec son compagnon et acteur, Arnaud Dupont. Cela m'intéresse beaucoup de savoir comment on écrit et se fait financer des histoires gays en région. Dans 2 courts sur 3, ce sont des histoires proches du vécu des réalisateurs, preuve que l'enjeu de l'auto-représentation existe encore (voire plus haut).


©Ciné-Marges-Club #3

Un "temps fort" est prévu en avril, période où Cinémarges avait lieu pendant 4-5 jours. Quelle(s) surprise(s) nous attend(ent) ?

Le programme est en court d'échafaudage, on a cassé quelques cloisons, mais on garde les murs ! Du 29 avril au 1er mai, un beau week-end queer en perspective : au Jean Eustache et à l'Utopia pour les nouveautés, à la Bibliothèque de Bordeaux pour le patrimoine (attention Garçonnes!)..., au VOID pour la boom avec Bordeaux Rock, et aussi dans une galerie de St Michel pour une exposition inédite. Pas si light finalement, non ? Parmi les invités, on vient d'avoir confirmation de la venue de O. Ducastel et J. Martineau pour le très attendu «Thé & Hugo» (primé à Berlin)... Nous avions programmé leur 2ème film «Drôle de Felix» en 2000 pour la 1er édition du Festival..., on boucle la boucle en quelque sorte.

[question bonus] Aura-t-on encore le plaisir de voir Divine à l'écran ?

Pas de Divine à l'horizon, mais des stars camp, sûrement ! Divine était l'égérie de John Waters, Tilda Swinton était celle de Derek Jarman, c'est elle qu'on pourrait redécouvrir cette année... (mystère !).

Quelles sont tes projets pour la suite ? Sera-t-il envisagé d'organiser des projections privées hors salles de cinéma (type Le Garage, comme cela avait été le cas pour BORN IN FLAMES) ? On aimerait bien. Les lieux alternatifs, un minimum adaptés pour de la projection, ne sont malheureusement pas légion à Bordeaux (on est pas à Bruxelles ). Tu vas être ravie, l'artiste Hervé Malgorn nous invite dans sa galerie fin avril pour une exposition dont Delphine Delas a proposé le titre « Je vous souhaite d'être FOLLEMENT aimé »... En 2016 on est très « love love »... underground.

QUELLE PLACE POUR LE 7ÈME ART DANS L'ÉDUCATION ET LA PÉDAGOGIE ?


C'est la question centrale et elle est riche de sens ! Films censurés, dépolitisés, court-circuités... Dans ce contexte, que peut-on encore attendre de la fonction sociale du cinéma ? C'est trop complexe pour y répondre ici, je ne pense pas être la mieux placée, comme je ne m'occupe pas d'éducation, mais sans doute la question reste à poser à un sociologue, un prof ou un intervenant engagé sur ce terrain, à creuser...

CARTE BLANCHE : un dernier thème que tu souhaites aborder ? un dernier mot pour la route ? C'est ici & maintenant ! Mais qu'est-ce qu'elles veulent les gouines courges (ou pas courges) aujourd'hui ?


Merci Esther, on se retrouve aux prochaines projections du Ciné-Marges-Club ! Bonne continuation !


Prochains RDV du Ciné-Marges-Club :

22 mars, Ciné-Marges-Club #3 (trois courts-métrages) au cinéma Jean Eustache (Pessac)

29 et 30 Avril, Ciné-Marges-Club #4 (trois séances. Au Jean Eustache, à la Médiathèque de Bordeaux et à l'Utopia + soirée DJ).

Retrouvez toute l'actualité du Ciné-Marges-Club :


© Delphine Delas pour Ciné-Marges-Club

BONUS : les teasers de 6 éditions !


© Nicolas M., 2009

© Nicolas M., 2010

© Nicolas M., 2011

© Nicolas M., 2012

© Nicolas M., 2013

© MundArt, 2015


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