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Juliette CHENAIS : l'humour multiple au service des arts.

Rencontre avec Juliette Chenais, jeune cinéaste / photographe / street artiste qui vit et travaille à Paris. Elle écrit, réalise et monte ses propres films. Elle est aussi chef-opératrice, dialoguiste et comédienne pour d’autres réalisateurs.

© Juliette Chenais de Busscher

Autoportrait - Station Belleville

PRÉSENTATION


Peux-tu te présenter en quelques mots ?

Je suis une fille du XXe arrondissement de Paris, j'y suis née et j'y habite encore ! Je défends mon quartier et m'y implique beaucoup en tant qu'artiste. J'aime le côté cosmopolite et populaire du XXe, j'espère pouvoir continuer à y vivre et à y travailler. Je voyage beaucoup à travers le monde, mais Belleville est mon port d'attache.


Dans quel cadre as-tu grandi ?

Mes parents sont architectes et j'ai grandi dans le tracé des plans et les photocopieuses. J'ai toujours vu mes parents travailler avec passion et dévouement complet, j'ai pris ce virus-là.


Comment imaginais-tu ta vie quand tu étais enfant ?

Je voulais être Présidente de la République, avoir un mari riche et vieux, un amant passionné et un enfant quand je serai vieille.


Et maintenant c'est quoi ton idéal dans la vie ?

Continuer à créer en toute liberté. Être heureuse, rester lucide.


Quelle est ta vertu cardinale ?

Je ne connais ni la prudence ni la tempérance.


Quelle est la maxime du Bien que tu aimerais transmettre ?

Nous sommes tous doué-e-s, avec le travail on devient talentueux.


La faute qui t'inspire le plus d'indulgence ?

La provocation.


Quel super-pouvoir aimerais tu avoir ?

J'aimerais avoir à la place d'un œil une caméra, pour capter des scènes de vie. Les plus belles histoires et les plus beaux personnages sont dans la vie.


Quel personnage choisirais-tu pour illustrer un nouveau billet de banque ?

Picsou qui fait un fuck.


Qui sont tes héros dans la vie ?

Les femmes artistes, les femmes de conviction.


A ton avis, en quoi seras-tu réincarnée ?

En miroir, pour continuer à observer l'intimité des gens.


Pour toi, l'inspiration c'est … ?

Fulgurant et génial, surtout quand elle intervient au moment où je ne m'y attends pas, dans un domaine encore insoupçonné.


AVANT LES PREMIÈRES OEUVRES


Comment as-tu découvert ta fibre artistique ?

A en croire ma mère et ma grand-mère, je l'ai toujours eu. Et je ne me rappelle pas quand elle m'est apparue. Par contre, ce dont je me rappelle c'est le cheminement vers la légitimité à s'affirmer artiste. C'est une chose beaucoup plus compliquée de se dire que ce que je fais est montrable et digne d’intérêt alors que cela sort de ma seule tête et de mes petits bras. Il faut un culot incroyable et cela vient pas après pas, doute après doute.


As-tu un parcours universitaire en lien avec la photographie et le cinéma ?

Oui. J 'ai à peu près fait toutes les études de cinéma qu'il est possible de faire en France ! L'université surtout, j'en ai fait 3 différentes !

La Sorbonne, où j'ai eu un professeur excellent, Christian Viviani, qui m'a tout appris de l'histoire du cinéma, je relis parfois ses cours.

Rennes II, une faculté où on a analysé Last Days de Gus Van Sant pendant un semestre tout entier !

L'université de Marne-la-Vallée où on a fait des ateliers et des films toute l'année dans la bonne humeur et la camaraderie.

Je suis aussi passée par une école privée où j'ai acquis plus de techniques et j'ai aussi fait un passage par l’école des Beaux-Arts quand j'étais à Rennes pour apprendre les techniques photo.

Au final, j'ai un Master en cinéma et, je crois, une certaine ouverture sur la culture cinéma.


En quoi était-ce un passage obligatoire pour t’épanouir dans tes pratiques artistiques ? Et qu'en retiens-tu ?

Je ne sais pas si le passage de la formation est obligatoire. C'est propre à chacun-e, j'imagine. De la technique il en faut, mais elle s’acquière surtout en pratiquant et en testant soit-même. L'université m'a ouverte sur l'histoire du cinéma et de l'art en général. Cela m'a permis de découvrir des films importants - et m'a fait comprendre pourquoi ils l'étaient-, de développer mon sens critique par rapports aux images, et j'y ai appris des techniques et découvert des cinéastes de manière approfondie. Personnellement, j'y ai pris beaucoup de plaisir et cela m'a nourri, et même si je ne m'y réfère jamais consciemment, c'est souvent que l'on associe mon travail à telle ou telle influence alors je me dis que c'est certainement lié.

J'ai aimé les études au point que je voulais m'inscrire en thèse à la fin de mon Master, mais c'est le directeur de l'université qui en réceptionnant ma demande m'a questionnée : « Mais Juliette, la recherche c'est bien, mais tu ne veux pas FAIRE du cinéma plutôt ? ». Je me suis sentie troublée, car ça ne me paraissait pas vraiment réel, « faire du cinéma », alors que ça faisait des années que j'étais à la fac dans ce but là, mais je suis repartie sans retour avec mon dossier sous le bras et l'envie de FAIRE ne m'a plus quitté.


PHOTOGRAPHIE


"AUTOPORTRAITS MULTIPLES"

© Juliette Chenais de Busscher

Autoportraits multiples - Petite file d'attente à l’Ermitage

Peux-tu me parler de la genèse de cette série ?

Tout a commencé en 2010. Une amie photographe m'a proposé de continuer un de ses projets photographique : il s'agissait de réaliser un autoportrait par jour pendant une année. Elle pensait que c'était une bonne chose pour moi qui ne prenait jamais de portrait que de commencer par me prendre en photo moi-même. A l'époque, je ne photographiais que des paysages urbains, et il n'y avait jamais personne sur mes photos. J'ai commencé le projet le 1er janvier 2010, et dès la première semaine, j'étais bloquée : je n'aimais pas tellement ma tête sur les photos... Du coup, les idées de la multiplication ont germé pour mieux contourner la contrainte. En réalisant plusieurs portraits de moi sur une même photo, j'ai l'impression que l'on s'attache moins au détails de ma personne, que l'on me regarde moins. Il y a un ensemble urbain autour, une mise en scène, ce n'est plus du tout intime. Depuis la fin de ce projet, j'ai continué l'autoportrait avec uniquement cette forme de multiplicité.


© Juliette Chenais de Busscher

Autoportraits multiples - La Cendrillon des Lilas


Quelles techniques as-tu utilisées pour aboutir à ce résultat final ?

Mes photos sont réalisées sur les lieux mêmes. Mon appareil photo est posé sur un pied et je me déplace dans le décor selon ce que je veux raconter. L'ensemble des photos est ensuite découpé par ordinateur afin qu'à la fin cela ne forme qu'une seule et unique photo.


© Juliette Chenais de Busscher

Autoportraits multiples - Bateaux de papier


Scènes de rue, huis clos, photographie narrative... Comment décrirais tu le travail entrepris à travers tes autoportraits ?

Je ne sais pas trop si je saurais y mettre des mots. Le cadre que je me suis fixée, c'est seulement la multiplicité et le fait que ce soit de l'autoportrait. Ce que je mets ensuite dans le cadre répond à mon envie de l'instant. Cela peut être un pays que je visite et dont je veux traduire l’atmosphère, ou une impression qui m'est apparue, une idée cocasse que j'ai envie de faire partager, ou un lieux qui me plaît et qui m'inspire un détournement de son sens. Le côté narratif s'est imposé à un moment comme l’aboutissement logique de la démarche. C'est souvent en préparant les expos des photographies nouvelles que je constate les évolutions et les nouvelles pistes empruntées.


© Juliette Chenais de Busscher

Autoportraits multiples - Tourisme en Palestine


En quoi peut-on dire que ton travail de mise en scène contient un message politique et social à l'égard de la société occidentale dans laquelle nous évoluons ?

Je ne songerais pas à dire une chose semblable. Ce serait très présomptueux de ma part. Je fais juste des photos de moi en suivant mes idées. Je fais rarement les choses en toute conscience, je travaille à l'instinct et au gré de mes envies. Je voyage beaucoup pour me faire évoluer personnellement et me confronter à de nouvelles expériences. Je me sers de cette série pour garder trace de certaine chose, c'est tout. Les photos parlent parfois de sujets qui me tiennent à cœur? mais je ne me dis jamais qu'il me faudrait une photo sur tel ou tel sujet. Souvent, c'est surtout l'humour qui guide mon choix, et comme j'ai l'humour un peu caustique et grinçant je choisis souvent des sujets disons « délicat ». Je n'ai pas l'impression de donner un quelconque message politique, ou alors ce sont des choses qui font tellement partie de moi que je n'en ai pas conscience.


© Juliette Chenais de Busscher

Autoportraits multiples - La manifestation


Tes autoportraits multiples sont très nombreux... Si tu devais en retenir un seul, lequel serait-ce ? Pourquoi ?

Peut-être La manifestation. Il s'agit d'une photo un peu spéciale dans la série car c'est la seule où il y a deux costumes. Un groupe de sujets sont en robe et font une manifestation, l'autre revêt un costume de policier et tente d’arrêter les manifestantes. Cette photo a été faite en réponse aux visiteurs de mes expositions qui me demandaient inlassablement pourquoi c'était toujours la même personne sur mes photos. J'ai donc imaginé cette manifestation de mes sujets pour avoir le droit d'être différent. La réplique de la police est très violente et armée. J'ai coutume d'expliquer aux visiteurs pendant mes expos, depuis, que la rébellion de mes sujets a échoué et que c'est pour cela que mes sujets restent toujours semblables. Je plaisante aussi sur une petite polémique que j'ai placé en légende de la photo qui dit « selon les organisateurs il y aurait 35 manifestants, selon la police une seule ». C'est le genre de chose qui me fait rire.


"SÉRIE DU METRO"

© Juliette Chenais de Busscher

Série du Métro - Station Strasbourg Saint-Denis, ligne 9


Les transports en commun (métro parisien, voyages en bus...) prennent une autre dimension à travers tes photos. Que cherches-tu à communiquer à travers cette série ?

J'ai commencé à faire des photos dans le métro depuis l'achat de mon premier appareil photo numérique en 2008. J'adore le métro, on ne s'y ennuie jamais, pour peu qu'on soit observateur. Y faire des photos, c'est comme un défi : celui de rendre intéressant ou esthétique un lieu qui normalement déplaît ou laisse indifférent. Au début, je photographiais seulement des affiches déchirées, la trace du temps sur les papiers publicitaires. Je cherchais du sens dans les compositions qui apparaissaient par le hasard des déchirures. Puis, petit à petit, j'ai photographié le mouvement des rames qui passent, la symétrie et les décorations datées des stations, les reflets dans les vitres rayées. Puis, un jour, j'ai osé prendre les voyageurs eux-mêmes, et, fascinée par l'intimité qui s'en dégageait, j'ai continué.


© Juliette Chenais de Busscher

Série du Métro - Station Belleville, ligne 2

© Juliette Chenais de Busscher

Série du Métro - Station Place de Clichy, ligne 2

Toutes les photos ont été prises grâce à ton smartphone. Était-ce la première fois que tu utilisais cette technique ?

Le téléphone portable permet de nouveaux usages de la photo. Comme j'utilise mon téléphone, les gens ne sont pas sûrs que je les photographie, ils restent donc naturels devant mon objectif. Et puis, le téléphone, on l'a toujours sur soi, ce qui permet une plus grande réactivité. Les photos sont plus facilement spontanées, plus intimes. J'utilise mon téléphone uniquement pour réaliser cette série.


© Juliette Chenais de Busscher

Série du Métro - Station Jaurès, ligne 5

© Juliette Chenais de Busscher

Série du Métro - Les Buttes Chaumont, bus 26

Tes followers peuvent suivre instantanément la progression de la série du métro via Instagram. Est-ce une donnée importante dans le processus de diffusion de tes oeuvres ?

Le fait que la série soit publiée et rendue publique instantanément me permet d'avoir un petit défi quotidien à relever. L'envie de surprendre, de me renouveler sans cesse. Les photos du métro sont prises sur le vif et à la dérobée, le fait qu'elles soient aussi visibles par tou-te-s, dans l'instant, je trouve que c'est assez cohérent.


© Juliette Chenais de Busscher

Série du Métro - Station Saint-Ambroise, ligne 9


STREET ART


Tu as réalisé des fresques de street art qui portent ta marque de fabrique. Quelle était ta démarche ?

J'aime beaucoup le street art, j'ai la chance d'habiter dans un quartier florissant de ce point de vue. J'ai un profond respect pour certains "street arteurs", comme Nemo, que j'adore depuis toujours. Faire une œuvre pour l’éphémère et l'offrir au public juste pour le plaisir de la poésie urbaine, je trouve ça magnifique.

Un jour, on m'a proposé de participer à une exposition d'art de rue, « L'art in situ », et j'ai proposé l'idée d'une fresque de mes personnages. Ça donne une dimension réelle à mes portraits multiples, ce n'est plus la restitution d'un moment fantasmé : mes personnages prennent possession du cadre, sont dans la vie, dans la ville. Je ne saurais pas expliquer, mais cela me plaît au plus haut point.


© Juliette Chenais de Busscher

L'art in situ


Comment as-tu élaboré ces œuvres ?

L'élaboration des fresques de street art n'est jamais une mince affaire.

Je réalise une série autoportrait chez moi, en imaginant de tête la mise en scène finale. C'est souvent acrobatique : car j'aime bien voler avec un parapluie ! Donc souvent je me retrouve la tête à l'envers en équilibre sur une table basse ou une chaise haute. A la fin de la séance c'est comme si j'avais fait un marathon !

Ensuite, je prépare les tirages et les fais imprimer en taille réelle. S'en suit l'atelier découpage. Contrairement à la série d'autoportrait multiple, ce n'est pas un travail solitaire sur un ordinateur : je convoque toute ma famille et on se retrouve à quatre patte dans le salon à découper mes

silhouettes toute une après midi !

Quand à l’installation dans la rue, c'est toute une affaire aussi. La plupart du temps, c'est mon frère qui m'aide. On emprunte une échelle à un commerçant de la rue où je souhaite installer la fresque et on joue aux colleurs d'affiche, c'est épique !


© Juliette Chenais de Busscher


Est-ce que le projet d'enrichir ton travail de street artist est à l'ordre du jour ?

J'aimerais en faire beaucoup plus souvent !


© Juliette Chenais de Busscher

Fresque aux ballons

RÉALISATION


En ce qui concerne ta filmographie, tu es extrêmement prolifique derrière la caméra. Depuis 2010, tu as réalisé plus de 50 œuvres dont l'éclectisme (clips, court, moyen et long métrages, animation...) révèle une créativité et une curiosité notables.

Comment as-tu débuté ton travail de réalisatrice (association, collectif, projet personnel...) ?

La prolifération est du à ma rencontre avec le mouvement Kino. C'est un mouvement de cinéastes indépendants qui font des films ensemble, dans un temps imparti et un lieu défini (parfois à l’étranger), dans le but d'une manifestation publique. L'idée, c'est de faire des court-métrages en trois jours ou une semaine tout au plus. Le premier jour, je m’imprègne des lieux et fais des rencontres. Le premier soir, j'élabore une histoire et commence à discuter avec des comédiens. La première nuit, je mets tout sur papier et dès le lendemain, on se met à tourner. Intensivement. A chaque instant. Le dernier jour est réservé au montage, car le soir même, il est projeté. Le plus souvent, je découvre mon film dans son entier pour la première fois à ce moment là, en même temps que les premiers spectateurs. C'est magique. Une fois le film terminé, j'ai qu'une envie, en faire un autre. Alors je m'inscris à un autre Kino, j'ai fait ça des années, d’où le nombre important de films.

J'aime l'idée de faire les choses spontanément, uniquement guidée par une idée. Le temps d'élaboration du film, je mets ma vie, ma personne, entre parenthèses, je me consacre entièrement à mon projet de film. C'est très intense à tout niveau et, pour moi, ce sont les conditions idéales pour créer, car il n'existe plus que ça. Pour élaborer mes projets de long métrages, j'ai élaboré une technique inspirée de ce que j'ai déjà expérimenté grâce à Kino. J'essaie de recréer ses conditions, je demande aux comédien-ne-s une implication entière car j'aime quand c'est fulgurant.


Une partie de tes courts-métrages sont visibles sur ta chaîne YouTube. Les réseaux sociaux sont-ils des plateformes efficaces pour être visible ?

Les réseaux sociaux ne sont pas mon but. Mon but, c'est la projection publique. C'est à ce moment-là, où on sent les émotions, les rires des spectateur-e-s, le partage, que je sens si mon message passe ou pas. C'est pour le partage que je fais ce métier. Internet, c'est un moyen de me faire connaître et de donner une deuxième vie à mes films, mais ce n'est pas la finalité. La finalité, c'est la projection publique.


Est-ce que tu suis une trame de fond qui lie toutes tes réalisations (thématiques, acteurEs, esthétique...) ?

Si c'est le cas, je n'en ai pas conscience. Je tourne souvent avec les mêmes comédien-ne-s car quand j'aime travailler avec quelqu'un-e, il-le m'inspire souvent d'autres histoires.


Tu as plusieurs long-métrages en préparation. Qu'en attends-tu ? Sont-ils destinés à tourner dans les salles obscures ?

Mon but c'est de réaliser un long métrage par an. J'en suis au troisième. J’espère qu'ils seront visibles en salle un jour.


JE SUIS LESBIENNE - NIKON FILM FESTIVAL 2016



En septembre dernier, la 6e édition du Nikon Film Festival a été lancée sur le thème suivant : "illustration du geste à travers ses différentes formes". Les courts-métrages en compétition durent entre 30 et 140 secondes et leur titre respecte la forme suivante : "JE SUIS + thème du film". Pour l'occasion, tu as réalisé une petite pépite : JE SUIS LESBIENNE. Comment cette idée de scénario a-t-elle germé ?

Il y a une partie autobiographique : le souvenir d'une nuit pénible où je me suis pris un râteau phénoménal avec un homme dans mon propre lit, j'ai mis une année à m'en remettre.

La deuxième source d'inspiration pour cette scène, c'est le film de Kechiche, La vie d’Adèle, que j'ai adoré. Une scène de ce film m'a donné envie d'y apporter une réponse en image : celle de la sortie du lycée, où les potes d’Adèle lui reproche son homosexualité, genre "c'est dégueu, dire qu'on a pris une douche ensemble, que j'ai dormi chez toi sans savoir" etc... J'avais envie de faire vivre cette situation d'une hétéro partageant l'intimité d'une lesbienne.


Cadrage de départ centré sur les deux personnages féminins qui se trouve dans un lit... Un couple ? Pas du tout. On comprend rapidement que leur orientation sexuelle diffère et s'en suit un débat sur les sexualités hétéro et lesbienne. Quel message fais-tu passer au public à travers cette mise en scène ?

J'aime bien montrer des femmes libres dans leur mœurs et leur sexualité. Une hétéro tentée par l'expérience, une lesbienne qui s'assume haut et fort, j'aime. Ce qui me fait rire aussi dans cette scène, c'est la manière dont les hommes sont balayés d'un seul trait. Le personnage de Blanche lui renvoi à la figure, que si elle avait été avec un homme, il n'y aurait pas eu d’ambiguïté, c'est sur qu'il lui aurait sauté dessus. Comme si le rapport homme / femme était beaucoup plus simple que celui qui lie les femmes. Une manière de montrer que l'on peut penser les choses autrement et que les hommes ne sont pas toujours au cœur des préoccupations des femmes. L'idée, c'était aussi de montrer que ce n'est pas parce qu’on est lesbienne que nos rapports avec l'ensemble des femmes sont sexués. Ce qui dirige le monde, au-delà de notre genre ou de nos préférences sexuelles, c'est avant tout le désir, et - je l'ai appris plusieurs fois à mes dépens - il n'a pas de logique.


La chute du film est magistrale... Le ressort comique paye. Comment parviens-tu à mêler humour et problématique sociétale complexe (d'autant que l'homosexualité féminine alimente souvent des débats à n'en plus finir) ?

Je ne sais pas comment ça m'est venu. A y réfléchir, lancer une blague à la fin, comme ça, c'est absolument irréaliste. Mais ça me fait rire, moi ! Souvent, c'est la seule chose que je recherche : tourner les choses graves à la dérision. Faire rire des situations désespérées, pour y mettre de la distance. Les choses sont dites, mais rien n'est grave au final. C'est comme ça dans mes films, j'aimerais que cela soit comme ça dans la vie, que tout nous fasse rire.


Les deux personnages sont attachant-e-s et les actrices campent leurs rôles à la perfection. A la fin de la projection, on en redemande car la jeune femme lesbienne semble avoir un potentiel humoristique laconique inépuisable. Est-ce qu'une suite est à l'ordre du jour ? Un autre court métrage ? Ou un autre format pour poursuivre cette thématique ?

Je suis ravie que cette scène vous ait donné envie de voir plus ces personnages, car il s'agit en réalité d'un long métrage que je viens de terminer pour les sélections cannoises. Le film s'appelle I WANT YOU. C'est un mélo amoureux où tous les personnages se veulent les uns les autres. Une comédie tourné en Corse avec une petite équipe que j'ai hâte de pouvoir montrer.


LA QUESTION QUI FÂCHE : "LA" FEMME ET LE GRAND ECRAN.


"Les hommes font le cinéma [...]. Ils décident quelles sont les actrices aptes à porter les films,quel est leur âge, quelles sont leurs qualités, quel est leur physique. Ils décident du style de femmes aptes à passer au grand écran – quelle est leur race, leur travail, leur voix, leur vocabulaire. Car le cinéma, c’est avant tout la fabrique du genre – les qualités qui paraissent à certains miraculeusement naturellement / essentiellement féminines ou masculines nous ont toutes été inculquées par le septième art."

Virginie Despentes, édito des 15e Journées Cinématographiques Dyonisiennes, 2015.

Que penses-tu de cette thèse qui met en avant le sexisme dans le 7e art ("les hommes c’est l’action et les femmes c’est la petite culotte") ?

J'aime beaucoup Virginie Despentes, j'ai dévoré la plupart de ses livres et j'ai beaucoup de respect pour ce qu'elle écrit et pense. Comme j'ai essayé de l'expliquer plus haut, je ne fais pas mes films en théorisant quoi que ce soit. Je les fais à l'instinct, je crée des situations ou des personnages qui me ressemble ou ressemble à ma vie, à mon entourage, à ce que je vois. Alors si mes films sont féministes, c'est parce que je le suis certainement. De même que les hommes hétéro qui façonnent habituellement le cinéma ont donné l'image qu'ils ont des femmes et de la vie, je donne la mienne qui est logiquement inversée. Si les femmes avaient plus de place dans la création, elles n'auraient pas cette place au cinéma, et peut être que ça changerait aussi leur place dans la vie.


Pour prendre du recul sur la mise en scène du genre au cinéma, d'aucuns affirment que le test Bechdel est un premier pas intéressant. Il consiste en trois critères simples :

1) il y a deux personnages féminins dans le film ;

2) qui parlent entre elles ;

3) d’autre chose que d’un homme.

Est-ce que tu te sers de ce test (en tant que spectateurE, réalisateurE) ? Comment te positionnes-tu par rapport à cela ?

Je ne connaissais pas ce test, mais, par curiosité, j'ai demandé à ma copine Jeanne, dont j'étais sure qu'elle saurait de quoi il s'agit, et elle m'a expliqué. Et elle, qui connaît bien mon travail, m'a dit que cette règle était très bien appliquée dans mes films, ça m'a flattée. C'est vrai qu'à y réfléchir, je m'applique ces règles depuis toujours sans les avoir verbalisé de la sorte. Et cela car j'aime les personnages féminins forts. En vérité, je ne supporte pas de créer des personnages féminins en faiblesse, il y en a trop dans la vie, alors j'ai envie que, dans mes films, la part belle leur soit faite. Peut-être pour me donner le courage d'être plus forte dans la vie moi-même.

Un de mes longs métrage en préparation, LE VIOL DU ROUTIER, porte sur le viol, et même avec ce sujet, la fille violée est un personnage très fort. Le film raconte son parcours de reconstruction en devenant elle-même violeuse d'homme et sa montée en puissance.


CARTE BLANCHE : un dernier thème que tu souhaites aborder ? un dernier mot pour la route ? C'est ici & maintenant !

Si vous êtes curieu-e-x, allez voir mes films ! Je prépare un nouveau long métrage sur le sexe en version 2.0, deux courts-métrages issus de ce projet, sont déjà visibles sur ma chaîne.


Pour suivre le travail de Juliette, rendez-vous sur les pages suivantes :

Site internet professionnel : www.juliettechenais.com

Atelier d'artistes de Belleville : ateliers-artistes-belleville.fr/juliette-chenais


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