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Le Sex Marketing : une arme de vente comme les autres ?

Si vous vous êtes déjà demandé-e-s si la mise en scène de la sexualité érotisée dans la pub aide à vendre, voici la réponse : c'est le cas. En fait, elle est l'un des outils de vente les plus forts et efficaces. La relation entre la sexualité et le marketing est une combinaison gagnante pour toutes les entreprises : automobile, lingerie, vêtements, industrie alimentaire, technologie de l'information et de la communication, industrie musicale... La sexualité et le marketing entrent en synergie pour stimuler les résultats des campagnes publicitaires de toutes les firmes qui se prêtent à ce jeu discutable. En effet, les enseignes reproduisent des clichés sexistes et misogynes qui réifient la femme et la réduisent (uniquement) à un objet de désir...

Quels sont les ressorts psychologiques qui expliquent ce processus ?

Comment les stéréotypes les plus grossiers parviennent-ils à attirer les consommateur.e.s ?

Est-il possible de lutter contre ce phénomène de masse ?

UN PEU D'HISTOIRE...


Le Sex Marketing n'est pas une invention récente. La première utilisation connue de l'érotisme dans la publicité remonte à 1871, lorsque Pearl Tobacco place en vedette une jeune fille nue sur la couverture de l'emballage.


Les premières marques à entrer dans cette tendance sont alors les enseignes de restauration (saloons), l'industrie des cosmétiques et des produits de beauté et les firmes de l'industrie du tabac.


En 1885, W. Duke & Sons insère des cartes commerciales "provocantes" à collectionner dans ses paquets de cigarettes.


Puis, en 1970, le colorant capillaire Clairol (de Procter & Gamble) lance sa fameuse campagne sous le slogan ambigu : "Est-ce qu'elle...? Ou pas...? Seul son coiffeur le sait".


© Procter & Gamble

Quand on parle des prémices du Sex Marketing, impossible de ne pas mentionner Calvin Klein avec la célèbre publicité mettant en vedette Brooke Shields (qui avait, à ce moment là, seulement 16 ans) : "Vous voulez savoir ce qui se trouve entre mon Calvin et moi ? Rien". Slogan aussi controversé qu'efficace pour les ventes qui ont suivi cet affichage...


© Calvin Klein

Pourquoi le fait d'utiliser le sexe et l'érotisme dans le travail de la publicité est-il devenu une arme de marketing aussi puissante ? La réponse peut être, en partie, apportée par la neuropsychologie. En effet, d'après la théorie du cerveau triunique (Paul D. MacLean, 1969), l'être humain est doté de ce que l'on nomme un cerveau reptilien (ou cerveau archaïque primaire). En termes d'évolution, il est la partie la plus ancienne de notre cerveau et il est responsable de la survie. Il accorde une attention à seulement 3 paramètres : la nourriture, le danger, et... le sexe. Outre le système primitif, nous avons un cerveau limbique, à l'origine du système dévolu à la gestion des émotions et des réactions d'alarmes du stress, et un néo-cortex, qui permet le contrôle des émotions et la pensée logique. Même si notre cerveau reptilien fonctionne au niveau du subconscient, il travaille en permanence. Il se focalise sur la satisfaction des besoins primaires et vitaux : la recherche de sécurité (il balaye l'environnement pour repérer tous les dangers potentiels), la garantie de la survie (nourriture, boisson et repos) et... la sauvegarde de l'espèce (besoin de se reproduire... via la sexualité). Voilà pourquoi l'utilisation du Sex Marketing est si puissante. Chaque fois qu'une personne est exposée à un message sexuel, son cerveau reptilien est activé. Et il est très difficile d'ignorer les messages à connotation sexuelle. Nous sommes très fortement câblé.e.s pour réagir à des messages qui font référence à la sexualité. Bien entendu, la diffusion de messages publicitaires explicitement sexuels (modèles entièrement nu.e.s, érotisme ostentatoire ou pornographie) sont prohibés par la bienséance. Mais l'affichage d'une cheville ou d'un buste fonctionnera tout aussi efficacement : le cerveau primitif traite cette information comme tel. Et les messages (slogans, métaphores...) utilisés dans le marketing renforcent cette logique biologique.


UNE ARME DE VENTE MASSIVE


L'invasion d'images, dans une société qui semble de plus en plus ouverte et moins taboue, engendre de facto, l'omniprésence de la sexualité dans la publicité. Le seul changement qui ait été observé depuis le siècle dernier est la combinaison de l'érotisme avec l'humour... dont la cible est toujours la même : la femme. Ainsi, il est légitime de dire que le Sex Marketing est bel et bien sexiste, bien que celleux qui l'utilisent s'en défendent ardemment. Et, dans toutes les industries, des images de femmes-objets réifiées, des photographies de corps dénudés ou des mises en scènes métaphoriques scabreuses sont légion.


Prêt-à-porter & lingerie


Célèbre pour ses annonces publicitaires à forte connotation sexuelle, associées à un univers résolument sexy, Dolce & Gabbana a déployé cette campagne en 2007. L'image ci-dessous est très explicite : le modèle féminin est clairement dénudé (en maillot de bain), retenu au sol par un mâle dominant, tandis que d'autres hommes, à demi vêtus, se trouvent debout tout autour et observent la scène d'un oeil lubrique. D'aucun.e.s y ont interprété une mise en scène de viol collectif par un gang... Et il est plus que légitime de se demander si telle n'était pas l'intention des scénaristes.

Selon l'institution américaine Self- Discipline Institute (IAP), «la publicité montre une femme, plaquée au sol par les poignets, par un homme torse nu, avec d'autres hommes en arrière-plan. Cette image offense la dignité de la femme, en ce sens que la figure féminine est représentée d'une manière dégradante : la femme a une expression aliénée, avec un regard absent . Elle est immobilisée et soumise à la volonté du groupe d'hommes». Par la suite, l'IAP a prohibé la diffusion de cette publicité en condamnant la posture passive et impuissante de la femme par rapport aux hommes autour d'elle, et la représentation de la violence, ou l'idée de la violence, envers elle.


© Dolce&Gabbana

Comment qualifier la promotion de la stupidité lancée par Diesel en 2010 en mêlant érotisation des corps et éloge de la bêtise ? Sur l'image qui suit, le modèle met son corps en évidence devant une caméra et s'expose comme une marchandise, rappelant aux femmes que leur seul véritable atout est leur corps. Le pire de tout, c'est le slogan, qui annonce que "l'intelligence a un cerveau, mais la stupidité a des couilles"... Cela suggère-t-il que ce type de mise en scène est le nec plus ultra pour être une fille cool et courageuse ?


© DIESEL

Ici, il est clair que ce monsieur se régale... parce que les femmes sont nées pour être dominées et mangées ! Encore une fois, la femme est réduite à l'état d'objet, élément manipulable, corvéable et a priori comestible...


© DIESEL

Pour clore le chapitre Diesel, impossible de passer à coté de ce court-métrage tourné en 2008 pour célébrer le 30ème anniversaire de la marque. Cette campagne internet de deux minutes utilise une animation colorée pour bloquer les images tirées de films pornographiques des années 1980. Toutes les scènes des films originaux ont été trafiquées pour montrer les acteur.e.s secouant des maracas, à cheval, jouant au flipper et mangeant une banane . Selon le label Viral Factory, qui a réalisé la vidéo, le but du film est de rappeler aux gens que "Diesel est une marque dont le public doit continuer à attendre l'inattendu".


© DIESEL

La marque Wonderbra, connue pour ses publicités qui dirigent l'attention des hommes sur la poitrine des femmes, a toujours eu une façon unique d'introduire l'érotisme et d'entretenir les fantasmes masculins à l'égard des attributs féminins...

© Wonderbra

Pourquoi les enseignes reconnues et réputées pour la qualité de leurs produits s'évertuent-elles à diffuser des campagnes publicitaires stéréotypées, qui renforcent les clichés des genres et des sexualités ? L'exemple de Victoria's Secret est édifiant. Cette entreprise est presque incontournable tant elle est visible, entre sa commercialisation massive, ses vitrines dans les quartiers les plus courus des grandes métropoles et son fashion show retransmis en prime time à la TV. Victoria's Secret engrange 5 milliards de dollars de bénéfices chaque année... et les ventes sont dopées par des messages publicitaires qui prêchent des idéaux de beauté et de sex appeal objectivant. La marque pousse ses fidèles consommateur.e.s à penser que leur pouvoir repose essentiellement sur l'accessoirisation du corps. Pour Victoria's Secret, l'empowerment féminin est déterminé par la jeunesse, la minceur, la finesse et l'absence de cellulite : le devoir des femmes est-il de tendre vers ces idéaux ? Ainsi, nombre de personnes sont convaincues par ces préceptes esthétiques... au détriment de leur estime d'elles-mêmes et de leur autonomisation. Qu'en est-il des corps hors normes ? De la différence ? De tou.te.s celleux qui ne rentrent pas dans ces cases pseudo-canoniques et se situent ailleurs sur le spectre du Beau ?


© Victoria's Secret

Industrie agro-alimentaire


Le Sex Marketing est non seulement endémique dans le domaine de la mode, mais il va également droit dans les aliments que nous mangeons et dans les fluides que nous buvons.


L' industrie de la viande est au cœur de tout cela. L'idée première est que le spécisme jette les bases de la discrimination contre les femmes : l'être humain dominent la chaîne alimentaire et, en raison de sa supériorité, peut à loisir exploiter tous les animaux, considérés comme des "choses" dénuées de conscience. De plus, le cliché de l'homme carniste tend à considérer que "la viande est machiste" : la force, le pouvoir et la virilité seraient-ils renforcés par la consommation de protéines animales ? Les mâles risqueraient-ils d'être féminisés s'ils s'en passaient ?


Carol J. Adams a fait une étude très complète de ce phénomène dans son livre The Sexual Politics of Meat (1990). Son livre donne beaucoup d'exemples de la manière dont l'industrie de la viande instrumentalise les femmes, considérées comme de la chair fraîche à consommer...

Burger King remporte tous les prix en la matière... Ils nous apprennent que leurs Burgers sont aphrodisiaques, et rajoutent des slogans vraiment salaces aux photographies douteuses placardées dans les rues... Plus c'est gros, plus elles aiment...


© BurgerKing

Cette affiche destinée à promouvoir un BBQ contest montre sans vergogne une femme nue représentée sous les traits d'une truie... Et oui : les femmes sont bonnes à rôtir...

© BBQ Contest

Cocorico ! La France est performante en la matière, grâce à cette oeuvre d'art signée Le Cornichon. Les cuisses confites, il n'y a que ça de vrai !


© Le Cornichon

Ces affiches de communication pour Rachachuros Seasoning ne sont pas seulement déroutantes, elles sont aussi clairement dégradantes pour l'image de la femme...

© Rachachuros Seasoning

© Rachachuros Seasoning

Enfin, Steak House n'y va pas par quatre chemins pour séduire sa clientèle : bienvenue dans le temple carniste où les femmes se dégustent aussi bien que les morceaux de viande ! Emballez, c'est pesé ! Et venez en groupe, c'est mieux !

© SteakHouse

Dans l'agro-alimentaire, le Sex Marketing est aussi très présent dans le secteur des boissons alcoolisées et des spiritueux.


Ni slogan, ni appel à l'action pour la marque de whisky Jim Beam, il suffit de vidéo sensuelle pure pour faire passer le message. L'alcool désinhibe : supre et luxure !

© JimBeam

Les fondateurs de la bière artisanale Kékette sont doués en jeux de mot graveleux : "Un petit coup de Kékette bien RED", "Kékette extra large"...

© Kékette


Que dire de la Levrette, auto-proclamée "bière de position"... Alors ma bonne dame, qu'est-ce que vous diriez d'une bonne levrette, légère et équilibrée... Par une belle journée comme aujourd'hui, cela vous fera vraiment du bien, je vous assure...

© Levrette

Enfin, il faut porter un toast à Guinness, qui bat tous les records ! Il suffit de jeter un oeil à la vidéo ci-dessous pour entrevoir un discours abject et misogyne : femme-objet passive (repose-bière), femme sexualisée à l'extrême, partagée entre plusieurs "amis"... telle une bière, chez qui la notion de plaisir n'implique pas de le prendre, mais de le donner (utilisation du pronom It pour souligner le parallèle entre ces deux éléments).

© Guinness

Industrie automobile

La marque allemande Volkswagen a cassé les codes traditionnels avec une campagne publicitaire audacieuse. Ici, il n'y a pas de voiture dans l'annonce : tout ce que vous pouvez voir, c'est une femme dénudée, visible à sa fenêtre. En effet, les voitures ont été métaphoriquement associées à des relations sexuelles. Les producteurs automobiles veulent que leurs véhicules soient perçus comme sexy, rapides et performants. De "bons coups", en somme...


© Volkswagen

Publicité moins récente, mais modèle de communication en matière de Sex Marketing : achetez le mini van Daihatsu, vous ramènerez plus de filles chez vous !


© DAIHATSU

LE SEX MARKETING : TRANSGRESSION ET BANALISATION

En France, l’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité (ARPP), dont la mission est « de concilier liberté d’expression publicitaire et respect des consommateurs », constatait en 2012 « la quasi-disparition de la tendance porno-chic », l’augmentation de « la représentation du genre masculin malgré la surreprésentation des femmes dans la publicité » et « la persistance de la représentation du caractère sexuel de la personne sans lien avec le produit ou le service objet de la publicité » (ARPP, 2013).


L'ARPP oeuvre pour sensibiliser les professionnel.le.s de la communication et les marketeur.e.s à la nécessité de limiter l'introduction d'images à connotation sexuelle dans les publicités diffusées au grand public. Voici un exemple de spot télévisé émis par l'ARPP :


© ARPP

Malgré cette tentative de contrôle par les instances de régulation, les enseignes industrielles et commerciales continuent à rechercher le phénomène de buzz, car cela leurs permet d'être visibles. De plus, les réseaux sociaux sont une manne pour la diffusion de publicités car ils placent les internautes au coeur du processus, en tant que récepteur.e.s et acteur.e.s à part entière de l'image de marque.


Dans la publicité, la transgression des tabous sexuels déstabilise, car elle remet en cause les repères qui structurent les individus. « Ce sont les modalités de la construction sociale de la limite, les croyances qui la fondent, les rituels qui en règlent les approches, la valeur que les sociétés accordent aux faits et choses ainsi séparés qui font la transgression » (Hastings, Nicolas & Passard, 2012). La transgression dans la publicité serait-elle un jeu, intégré dans une stratégie d’annonceur ? Est-elle exploitée comme moteur du buzz et tendrait-elle à être si banale qu’elle en deviendrait conformiste en ne maintenant plus l’interdit ?


© GARZON

En somme, il est évident qu'à l'aune du "tout internet", la régulation de la circulation des images est une gageure. Le Sex Marketing n'est qu'un symptôme de la banalisation de la transgression. Et il est toujours très difficile de ne s'attaquer qu'aux causes lorsque ce genre de phénomène viral s'érige en fait social total.

Ainsi, pour lutter contre ce processus pernicieux, il est urgent de sensibiliser le grand public sur les biais inconscients mis en oeuvre par le marketing de masse. Permettre aux acteur.e.s de la socialisation primaire (familles) et secondaire (professionnel.le.s de la petite enfance, enseignant.e.s, professeur.e.s, éducateur.e.s...) d'informer les plus jeunes de manière simple et d'éveiller leur esprit critique est une démarche sans doute coûteuse (temps, argent, énergie...). Mais il s'agit de la méthode la plus adaptée et efficace pour que chacun.e soit à même d'évaluer les tenants et aboutissants des stratégies marketing qui s'imposent à nous tou.te.s.



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