Aude Gogny-Goubert : itinéraire d'une personne sensible et déterminée.
Connue du grand public depuis le début de sa collaboration avec le Palmashow et Golden Moustache, c'est au détour de vidéos internet humoristiques abordant le sexisme ordinaire que nous avons découvert cette actrice à l'humour caustique et au parcours pour le moins atypique. C'est avec son franc-parler et toujours le bon mot qu'elle a accepté de répondre à nos questions... Itinéraire d'une personne sensible et déterminée.
© Adrien Rebaudo
PRÉSENTATION
Hello Aude ! Tout d'abord, peux-tu te présenter en quelques mots ? Je suis actrice… depuis toujours si l’on peut dire ! J’ai commencé sur les planches à l’âge de 5 ans et je n’ai jamais quitté ce métier. Je passe volontiers du théâtre, au web, à la télé, à la mise en scène… J’aime explorer tous les genres et changer souvent pour ne pas m’ennuyer… C’est ce qui me définit fondamentalement.
Dans quel cadre as-tu grandi ? J’ai grandi dans la campagne profonde, assez isolée. Dans un milieu néanmoins privilégié avec trois grands frères et des parents cultivés et ouverts d’esprit.
Comment imaginais-tu ta vie quand tu étais enfant, puis ado...? Avais-tu un rêve de gosse ?
Je m’imaginais actrice… Je rêvais d’indépendance et de ville … Quand le premier commerce se trouve à plus de 5Km de chez soi, on a soif d’évasion, forcément. Ado, j’étais assez triste. Je ne me suis jamais sentie en phase avec mon âge et je préférais le monde des adultes. Très rapidement je me suis réfugiée dans mon amour pour les chevaux… Passion que je conserve aujourd’hui encore. En fait j’ai la sensation, même très petite, d’avoir toujours eu les mêmes convictions, les mêmes souhaits, passions et activités… et je me sens aujourd’hui enfin au bon endroit !
Et maintenant, c'est quoi ton idéal dans la vie ? Mon idéal serait de continuer à me sentir aussi libre de faire des choses diverses et variées sans me soucier de la moindre « stratégie » de carrière. J’aimerais aussi savoir dire « non » plus souvent quand les projets ne m’emballent pas tant que ça. Ce qui me permettrait de monter plus mon cheval qui est ma vraie soupape de décompression, mon exutoire… Que je délaisse trop souvent pour cause de boulot intensif !
Quel est ton démon ? La mélancolie. J’ai passé 10 ans en dépression avec des phases plus ou moins graves et je pense que depuis que j’en suis sortie, je me méfie toujours de cette « petite boule grise » au fond du ventre … Je reste en permanence vigilante afin qu’elle ne prenne pas d’ampleur !
Qu'est ce qui te met en colère ? La lâcheté et l’injustice me mettent hors de moi. J’ai un caractère assez franc et je supporte mal le louvoiement ou la mauvaise foi… Le manque de courage en fait !
Que places-tu au-dessus du plaisir ? La sérénité. On se place souvent dans une course effrénée au plaisir et à la jouissance matérielle, physique ou spirituelle mais je trouve qu’être juste « tranquille » c’est bien aussi.
Préfères-tu parler ou écrire ? Pourquoi ? Je préfère écrire. J’ai la réputation d’être quelqu’un de très sociable… Alors que j’ai plutôt l’impression que ça me demande de gros efforts d’aller vers les gens ! De plus, comme je le disais précédemment j’ai un caractère trempé qui fait que mes pensées sortent souvent sans filtre et peuvent être mal interprétées… Par écrit, j’ai une facilité à choisir mes mots et à m’exprimer avec plus de justesse.
Si tu étais invisible, où irais-tu ? Écouter ce que l’on dit de moi quand je ne suis pas là… Mais ça c’est typiquement de la curiosité narcissique d’actrice !!!
La machine qui provoque la sensation la plus intense ? J’aime la vitesse… Terriblement ! J’aime conduire… voiture ou moto… et j’aime vraiment la sensation de puissance que cela peut engendrer. Depuis un gros accident que j’ai eu l’an passé je suis cependant beaucoup plus prudente !... Sinon je dirais mon extracteur de jus, ça marche aussi ?... Ahah Non parce que je suis accroc aux jus que je fais moi-même et qui me donnent la sensation de me « purifier » le corps… Même après un gros burger ! (c’est sacrément trop bobo comme réponse, non ?!).
Si tu pouvais choisir un super-pouvoir, ce serait quoi ? Je serais dotée d’une énergie illimitée et d’un calme olympien ! En ce moment c’est plutôt l’inverse !... Je stresse trop et ça me prend mon énergie, du coup j’ai un grand besoin de sommeil.
A ton avis en quoi seras-tu réincarnée ? Je ne crois pas du tout en la réincarnation donc difficile de m’y projeter… Mais pour le jeu je dirais… en olivier ! Car il renaît toujours de ses propres coupes !
Ton juron ou blasphème préféré ? J’évite de blasphémer en général... En revanche je sors quand même beaucoup de jurons… je crois que « connasse » me vient assez souvent !... Et la violence et le rythme d’un « fils de pute » qui fuse… n’a pas d’égal. Dénué de son sens premier évidemment !
Ton truc pour corrompre la jeunesse ? Le second degré. Les pousser même très jeunes à avoir de l’autodérision et de la subtilité !
PARCOURS ARTISTIQUE
Comment l'univers de la comédie et du spectacle est-il arrivé à toi ? Lorsque l’opéra du Théâtre Impérial de Compiègne (dans l’Oise près de là où j’ai grandi) a rouvert ses portes après un long sommeil, ils ont eu besoin d’enfants pour jouer dans leur première grosse production. Mes parents m’y ont emmené, j’avais 5 ans… je n’ai plus jamais voulu repartir.
Es-tu autodidacte ou as-tu été formée aux arts dramatiques ? De 5 à 15 ans j’ai joué dans ce théâtre et en tournée. À l’âge de 16 ans je me suis inscrite au Cours Florent puis au Sudden Théâtre… J’ai tout de suite travaillé mais j’ai toujours accordé une grande importance à la formation.
Après 6 ans passés à la Comédie Française en tant que metteur.e en scène, tu montes sur les planches en jouant des pièces classiques. En quoi ces rôles ont-ils influencé tes choix et la suite de ta carrière ? J’ai joué avant et en parallèle de la mise en scène à la Comédie-Française. Je ne peux pas dire que j’ai été « influencée » ou que j’ai fait des « choix » à proprement parler. Ou alors de façon complètement inconsciente. J’ai l’impression d’avoir toujours travaillé par « cycles » … Les boulots et les rôles aussi différents soient-ils se sont enchaînés naturellement sans que j’ai à y réfléchir plus que ça… C’est ce qui fait que j’ai un parcours très atypique… Passer de la Comédie-Française, au Palmashow, puis à Golden Moustache, ensuite la Grosse Émission et de nouveau le théâtre classique… Ce n’est pas un choix de carrière ! Je me suis laissée porter pour ainsi dire. C’est pour cela qu’en préambule je disais rêver de pouvoir garder cette liberté… Et pourtant je sens que cela devient plus difficile aujourd’hui.
© Aude Gogny-Goubert, Les Cuisinières (Goldoni)
Et l'humour dans tout ça ? Faire rire et rire, ça fait longtemps que ça tu as pris conscience de ce potentiel ? L’humour c’est vraiment un hasard total ! Je rêvais de jouer du Tchekhov, du Musset ou des tragédies classiques… je me voyais jeune première et on m’a tout de suite fait comprendre que je faisais mieux d’enfiler un tablier de servante rigolote dans Molière… Ou de jouer les idiotes ou les folles dans du contemporain ! Je ne peux pas aller contre la vis comica, c’est un fait… Et c’est surement lié, comme beaucoup d’autres, à cette petite boule grise dans le ventre contre laquelle je me bats !
Depuis 2010, on te voit sur de nombreuses chaînes YouTube qui mettent l'humour à l'honneur : La folle histoire du Palmashow, Very Bad Blagues, Golden Moustache... Comment as-tu intégré ces productions ? Encore une fois… Ça s’est fait si simplement ! J’étais en cours de théâtre avec Grégoire Ludig à l’époque où le Palmashow démarrait… On commençait à bosser ensemble en cours et c’est venu tout seul.Pour Golden Moustache, c’est Flober qui m’a téléphoné un jour… Il me connaissait comme actrice et il m’a proposé d’intégrer le collectif… Et j’ai dit oui ! Ensuite c’est un petit monde où tout le monde se côtoie plus ou moins, donc on passe dans les séries des uns et des autres !...
Aude GG dans La Grosse Emission
Vous êtes fidèlement suivis par des millions d'internautes. T'attendais-tu à une telle réussite et à un accueil si positif de la part du public ? C’est vraiment quelque chose que je ne maîtrise pas du tout. Je suis toujours la première surprise de l’accueil qu’on nous réserve dans les conventions ou les dédicaces ! Mais de mon point de vue c’est le collectif qui est salué… et donc je me planque derrière ça. Je n’ai pas l’impression d’avoir une légitimité individuelle dans ce succès et ça me va très bien comme ça ! C’est pour ça que contrairement à beaucoup, je n’ai pas de chaîne YouTube. Je ne me vois pas du tout cristalliser quoique ce soit autour de moi seule. Je suis au service des projets des autres !
Qu'est-ce qui est le plus gratifiant dans le métier d'acteur.e ? Comme tous les métiers de passion je suppose… D’être complimentée, reconnue, saluée ou récompensée alors qu’on ne fait que « jouer » !
Et le plus difficile, ou le plus décevant ? Décevant est un mot un peu fort mais c’est vrai que les retours négatifs lorsqu’on essaie de « divertir » peuvent être une contrariété. Lorsqu’on s’engage publiquement dans des convictions politiques, sociétales ou religieuses qui peuvent blesser des couches de la population, il est normal de s’exposer à la critique … Mais quand on veut faire rire ou émouvoir… Au pire ça ne fonctionne pas… Le spectateur a la liberté de zapper, personne ne l’oblige à regarder. La démarche du commentaire négatif me surprend toujours. Mais c’est le jeu…
Quels sont tes projets dans les mois et les années qui arrivent ? Comment envisages-tu la suite de ta carrière ? J’ai un bel agenda bien rempli… Je continue à être dans le JT de la Grosse Émission en quotidienne sur Comédie +. Je tourne en ce moment pour le prochain sketchshow Golden Moustache et dans des séries diverses comme « Martin sexe faible », « Vestiaires libérés »… Je vais être au théâtre Athévains (11ème) du 2 Mai au 30 Juin dans un Goldoni avec des anciens sociétaires de la Comédie-française… Puis en tournée ! Je serai aussi à la télé dans des choses dont je ne peux pas trop parler encore, à l’heure où je fais cet entretien ! Bref, je suis gâtée !
LA QUESTION CENTRALE : sexisme et stéréotypes de genres.
Peux-tu me dire ce que signifie, pour toi, "être une femme" ? Je ne vois pas de différence fondamentale à « être une femme » plutôt qu’un homme. Je bosse, je gagne ma vie, je suis indépendante et je jouis de mes passions tout comme l’homme qui partage ma vie. Je pense que la gestion d’un émotionnel fort et peut être plus exacerbé me différencie mais me rend plus complète également.
Comment te définis-tu en tant que femme ? Je suis aussi déterminée qu’hyper-sensible. C’est ce qui donne cet équilibre fragile mais qui me permet de prendre la vie à bras le corps.
© Julien Mauve
Es-tu sensible au(x) féminisme(s) ? Qu'en penses-tu ? Je suis très sensible à la cause féministe. J’essaie autant que je peux, autour de moi, d’alerter contre le « sexisme ordinaire ». Le « féminisme » n’a pas bonne presse car il est mal compris et/ou diabolisé. On en donne l’image de femmes qui voudraient émasculer les hommes et ce n’est pas du tout ça, au contraire ! Arrêtons d’en faire un gros mot ! L’homme avec lequel je vis est aussi féministe que moi ! Il est tout aussi sensible aux inégalités hommes/femmes et aux comportements inappropriés. Trop de gens encore ne « voient pas le problème » lorsqu’ils tiennent des propos misogynes … Il faut lutter activement contre ce conditionnement dans lequel notre éducation ou notre société ont pu nous plonger. Je vois même des filles tenir des propos misogynes ahurissants ! Je veille moi-même à ne pas verser dans des lieux communs du style « Les mecs c’est comme ci ou comme ça » … Il faut ré-apprendre à s’élever les uns les autres et non pas les uns contre les autres.
Dans quelle mesure peut-on dire que la société actuelle est sexiste ? Nous sommes dans une société perpétuellement et de plus en plus rapidement en mouvement. Et pourtant il y a des ancrages dans ce que j’appelle des conditionnements « Bleu et Rose ». À l’heure où nous progressons technologiquement, on trouve encore normal qu’une femme soit payée moins au même poste ou même qu’un homme soit sage-femme !? Nous nous étonnons trop des genres en fonction des situations et des places que l’on pense devoir être attribuées à tel ou tel sexe. Moi même je me surprends à avoir envie d’acheter des choses « de filles » à mes nièces… Je ne voudrais pas non plus leur imposer de jouer à « la guerre » (de toutes les façons je trouve ça aussi con pour les petits garçons !) mais il faut trouver un juste milieu. Nous sommes entretenus voire rassurés dans les comportements sexistes, mais notre société, elle, peut changer. Je suis d’ailleurs assez optimiste à ce sujet et je trouve qu’il y a aujourd’hui plus qu’avant, une prise de conscience globale.
L'année dernière, tu as mis en scène et réalisé une série de trois sketchs pour Femme Actuelle (#sexismeordinaire). C'est avec un humour acerbe et pétillant que tu dézingues les clichés sexistes et que tu remets les "mâles dominants" à leur place... En quoi l'humour est-il un vecteur de sensibilisation privilégié pour mettre en lumières les problématiques sociétales contemporaines ? Chacun fait ce qu’il peut à sa propre échelle… je ne suis pas femme politique… Je n’ai donc pas ma place à la tribune d’un meeting ! En revanche, l’humour et le format court ça me connaît… Si je peux en faire une chose utile voire un outil pédagogique, c’est encore mieux ! Lorsqu’Auféminin.com m’a proposé d’incarner ce sujet, je savais que ça serait délicat et que j’essuierai des critiques mais pas à pas je me suis toujours demandée si j’étais fière et convaincue par ce que je faisais ?… et c’était le cas !
27% des français pensent que l'auteur d'un viol est moins responsable si la victime portait une tenu sexy ; 20% pensent qu'un "non" veut souvent dire "oui" ; 30% des 18-24 ans pensent que "les femmes peuvent prendre du plaisir à être forcées lors d'une relation sexuelle". À quand un sketch sur le consentement ? Et surtout, comment aborder un tel sujet sous un angle humoristique ? Bon et bien tout mon optimisme et mon enthousiasme de ce début d’interview vient de redescendre comme un soufflé avec ces statistiques !!! Ça me déprime parfois… ! Le consentement implique de traiter le sujet à l’inverse… Et traiter la violence pure dans un sketch c’est extrêmement difficile. Solange te parle a fait une magnifique vidéo qui ‘a beaucoup touchée dernièrement… En rire… plein de gens savent le faire… comme Marion Seclin sur Madmoizelle par exemple. Elle tient des propos forts et justes, sans être moralisatrice. Blanche Gardin sur scène aussi … J’aime les gens qui arrivent avec discernement à prendre de la hauteur sur le sujet. Ce n’est pas mon cas. Le viol est un sujet que je connais bien, malheureusement, et, au contraire de gens que j’admire et qui en sortent des œuvres magnifiques, drôles ou bouleversantes comme Andréa Bescond dans « Les Chatouilles » ou Virginie Despentes dans « King Kong théorie »… j’en suis, pour ma part, bien incapable !
CARTE BLANCHE
Un dernier mot pour la route ? Un dernier thème que tu souhaites aborder ? C'est ici ! Je pense m’être pas mal livrée jusqu’ici… Je ne suis pas sûre de l’avoir souvent fait. C’est libérateur et à la fois, si des gens lisent jusqu’ici, je leur proposerai de ne voir ça comme étant uniquement mes points de vue, à un instant précis, dans un certain contexte. En aucun cas je ne voudrais avoir l’air de donner des leçons ou d’avoir des solutions aux problèmes. Je trouve toujours étrange que l’on donne la parole aux acteurs, chanteurs, danseurs… etc lorsqu’ils ne sont pas à la base dans une démarche politique… Mais puisqu’on me la donne je la prends… avec précaution et respect ! Et sinon… Venez me voir au théâtre ! La pièce date du 18ème siècle mais elle parle de façon très moderne de l’émancipation des femmes !
Pour retrouver Aude Gogny-Goubert et suivre son travail: