Bordeaux : la victoire de la contre-manifestation face à la haine homophobe
Le 16 juin dernier, La Manif Pour Tous (LMPT) prévoyait de défiler dans plusieurs grandes villes de France en levant leurs bannières bleues et roses pour soutenir le projet de loi concernant le durcissement de l'accès à la gestation pour autrui (GPA). En effet, pour ce collectif d'associations farouchement attaché aux valeurs traditionnelles d'une France cisnormée, la GPA représente un danger éthique, susceptible de mener à l'instrumentalisation massive du corps humain, via la mise en place "d'usines à bébé".
Photo : François Guillot, AFP
A Bordeaux, le rassemblement contre la GPA devait se tenir à 19h, place Pey-Berland, devant la mairie. En réaction à cette initiative, la Coordination Lycéenne de Bordeaux a mis en place, à la même heure et au même endroit, une "contre-manifestation face à la haine homophobe".
C'est en suivant sur Facebook le fil d'actualités de la Coordination Lycéenne que les militant.e.s, prêt.e.s à affronter le discours réactionnaire de La Manif Pour Tous dans les rues de Bordeaux, ont appris le changement de programme de ce cortège intégriste. Voici ce que l'organisation de LMPT a publié au milieu de la journée : "Nous vous demandons d’accepter nos excuses pour ceux qui se seront déplacés à 18h30, car hier très tard les forces de l’ordre nous ont conseillé de modifier son horaire (de 12h30 à 13h30) pour contrer les “esclavagistes” qui ont proférés des menaces à notre encontre". Ainsi, ils auraient réussi à "couper l'herbe sous le pied de la contre-manifestation". Une victoire pour LMPT ? D'après une photo de leur rassemblement postée sur leur compte Twitter, il est évident que ces derniers ne sont pas parvenus à attirer leurs sympathisant.e.s. Ont-ils eu peur de la mobilisation des LGBT+ et de leurs allié.e.s ? Sont-ils en déclin, malgré leur médiatisation et leur pouvoir financier ?
Photo : Manifpourtous33
Malgré la désertion de LMPT, la "contre-manifestation face à la haine homophobe" a été maintenue. Comme l'a souligné la Coordination Lycéenne, il était important de "profiter de l'occasion pour rendre hommage aux victimes de la tuerie d'Orlando et plus globalement à toutes les victimes de la haine à travers le monde, qu'elle soit LGBT+phobe, raciste, sexiste, xénophobe ou autre". De plus, la présence de centaines de personnes, unies et solidaires face aux violences symboliques de LMPT, était propice au recueil de leurs témoignages concernant une seule et unique question :
pourquoi était-ce important d'être là ce soir ?
Photo : Persesibi
Un.e porte parole de la Coordination Lycéenne de Bordeaux s'exprime en ces termes : "c'était important d'être là pour ne pas laisser la rue aux homophobes. Certes, ils s'opposaient ce jour à la GPA, mais originellement LMPT est un mouvement homophobe, ça s'est vu dès leur création. Ils ont contribué à une certaine banalisation de la haine homophobe. Et quelques jours après un massacre homophobe, voir un rassemblement organisé par ceux qui a contribué à la banalisation de la haine homophobe se faire comme si de rien n'était, ça passait pas vraiment. Je pense personnellement qu'il ne faut leur laisser aucun espace d'expression, non que je sois contre la liberté d'expression, mais que la discrimination, l'homophobie et l'incitation à la haine ne rentrent pas dans le champ de la liberté d'expression".
Photo : Persesibi
Au milieu de la foule qui a répondu présente pour afficher les couleurs du rainbow flag, Ernestine Morisson tient une pancarte riche de sens. Elle confie qu'elle n'appartient pas à la communauté LGBT+, malgré ses expériences de vie variées et non-hétérocentrées, mais qu'elle se sent profondément concernée par les problématiques qui stigmatisent les minorités invisibles. Elle est une de ces alliées qui milite dans la perspective de la convergence des luttes, à l'instar de ses années d'engagement auprès de AIDS Aquitaine.
Photo : Persesibi
Rosalie ajoute que, pour elle, il était crucial de se rassembler dans une ambiance festive et colorée car "l'homophobie gagne du terrain de jour en jour et qu'il faut montrer qu'on est pas offensif, mais qu'on se laisse pas marcher sur les pieds".
Photo : Persesibi
Kaya rebondit sur ce discours en affirmant qu'être là était primordial pour "défendre les droits humains".
Alexia enchaîne : "Alors... D'une part, si j'étais là car, à la base c'était pour montrer aux personnes contre la GPA (majoritairement issu-e-s de LMPT donc on peut assez facilement les considérer comme LGBTQphobes) qu'iels n'allaient pas faire leur petit rassemblement tranquille. C'était donc être present-e-s pour effectuer un rapport de force, montrer notre nombre, notre solidarité et que notre lutte est quotidienne et importante face à ces idées archaïques.Et d'autre part c'était aussi une grosse question de visibilité, de sentir qu'on s'inscrit dans un mouvement collectif contre les violences à l'égard des personnes minorisées, qu'on est pas seul-e-s face à cela et qu'il est nécessaire de développer du soutien, de la force, de la bienveillance dans nos luttes et surtout de la convergence contre toutes les oppressions spécifiques que peuvent vivre les personnes en plus de leur orientation sexuelle. Pour moi personnellement j'étais présente pour revendiquer une fierté et une visibilité politique en tant que lesbienne, qui s'articule avec un combat féministe contre l'hétéronormativité ambiante".
Photo : Persesibi
Avant de quitter la place Pey-Berland, Sarah glisse un dernier mot : "Plus que tout, c'est pour la visibilité et pour la rébellion, pour dire qu'on est pas d'accord. Il y a une tendance à l'homophobie, au retour de la droite et des valeurs catholiques qui stigmatisent les homosexuels, les lesbiennes, les personnes transgenres. C'est vraiment important de donner une visibilité et d'être ici, d'autant plus que le rassemblement de La Manif Pour Tous a eu lieu dans le contexte de l'après-tuerie contre les LGBT+ aux Etats-Unis à Orlando. Sans oublier que les personnes assassinées étaient des gays, lesbiennes et personnes trans racisé.e.s, principalement latinos. C'est pour ça que je suis là ce soir : pour la convergence des luttes et l'intersectionnalité, pour la lutte contre l'homophobie, pour la visibilité des lesbiennes noires racisées".
Photo : Persesibi
Voilà pourquoi environ 300 personnes se sont rassemblées jeudi soir dernier dans une ambiance safe et festive. "Nous étions ensemble, dans nos différences. Il y avait des hétéros, des bi, des gays, des lesbiennes, des hommes, des femmes, des français, des étrangers. Bref, des humains dans leur diversité" (Coordination Lycéenne). En somme, les paillettes et les licornes ont pourfendu la guerre menée par LMPT contre les pipettes. Cela est sans doute une victoire pour la visibilité des minorités oppressées et dominées par les norme cis-hétéropatriarcales : l'amour, la fraternité, la solidarité et la convergence des luttes plus forts que la violence anti-humaniste des idéologies rétrogrades et passéistes.