top of page

Oppressions et relations toxiques dans le milieu LGBTQ+.

Parfois, le vent tourne dans une direction hideuse et dégoûtante. C'est une sortie de route, un accident impromptu brisant avec fracas les os et le coeur de tou.te.s celleux qui s'étaient embarqué.e.s sur cette piste de danse morbide. On s'apprêtait à suivre les mouvements acrobatiques de l'existence, attiré.e.s par la prise de risques que représente l'inconnu, mais nous n'avions jamais pris la peine de nous prémunir contre la probabilité de chuter. Alors, quand on est blessé.e, quand on se sent trahi.e, quand le point de rupture apparaît, quand nos barrières protectrices volent en éclat, on reçoit les claques les plus violentes, celles qui laissent des cicatrices invisibles et dont on peut difficilement parler.

Personne n'est à l'abris de côtoyer une connaissance, un.e ami.e, un.e amant.e, un.e proche, ou encore même un groupe d'individu.e.s dont le mode de fonctionnement est pernicieux. Ces personnes sont souvent perçues comme des genTEs charmant.e.s, lumineux.ses et attractif.ve.s. Nous nous sentons heureux.ses, vivant.e.s, joyeux.ses et pris.es en considération par ces potes brillant.e.s qui nous ont intégré.e.s dans leur cercle intime a priori safe. Et pourtant, malgré leur attachement aux théories et aux discours queer qui s'attachent à déconstruire les normes dominantes, d'aucun.e.s adoptent des comportements toxiques, annihilant de ce fait tout le travail de sensibilisation aux concepts de safe, de respect, de bienveillance et de solidarité. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, il est bien évidemment possible de noter que des oppressions et des comportements toxiques sont reproduit.e.s au sein des milieux féministes et LGBTQ+. Même si certain.e.s s'identifient officiellement comme des personnes safe, iels sont, en quelque sorte, des loups dans la bergerie. Et ce genre de profil est beaucoup plus répandu que ce que l'on pourrait croire. C'est une réalité.



Le safe, ce n'est pas un mot-valise, brandit en étendard pour faire bien, balancé à tort et à travers de manière à enjoliver l'espace commun. Le safe, c'est bien plus que ça. Il s'agit d'une valeur phare de la communauté LGBTQ+ affirmant la volonté d'offrir des espaces-ressources où règnent la bienveillance et le respect. De plus, les lieux dits safe participent à l'émergence de la conscience collective autour d'événements et d'ateliers de réflexion sur les rapports de domination au sein des milieux queer et transpédégouines (TPG). Les personnes LGBTQ+ cherchent donc à créer de nouveaux espaces moins oppressifs, à rebours des normes cishétéropatriarcales, familialistes et capitalistes.



Là où le bât blesse, c'est lorsque l'on pense les lieux identifiés comme safe en termes de dominations et de violences. Car même si ce genre de lieu est avant tout un espace de rencontre et de partage, il arrive que certain.e.s reproduisent une dynamique oppressive et malveillante :


- c'est ce mec qui impose un discours cissexiste et reproduit les normes hétéropatriarcales, inconscient de sa position de dominant-privilégié ;


- c'est la reproduction de stéréotypes sur la "féminité" pouvant aller jusqu'à la transphobie ;


- c'est cette personne qui juge ton style vestimentaire et ta coupe de cheveux trop féminin.e.s pour une gouine et qui, par conséquent, nie tout un aspect de ton identité ;


- c'est cette meuf qui, en soirée, oublie la notion de consentement et ne tient pas compte de tes limites ;


- c'est ce groupe d'activistes qui t'ostracise et perpétue des conduites transmisogynes et cishétérosexistes, en oubliant volontairement d'utiliser ton pronom choisi ou en refusant que tu te considères comme féministe ;


- ce sont ces militant.e.s qui te rejettent, car en tant que garçon trans tu fais trop fem, trop pédé, et iels t'invisibilisent sciemment ;


- ce sont ces questions sur ton accent, sur ta couleur de peau et sur tes origines qui t'exotisent et puent la curiosité malsaine ;


- ce sont ces genTEs classistes qui, malgré ton vécu et ton savoir chaud, refusent que tu t'exprimes parce que ton petit diplôme ne fait pas de toi une personne légitime pour nourrir le débat ;


- c'est cette personne hyper-lookée-décalée qui occupe tout l'espace parce que, après tout, elle est sexy-cool et fuckable... Toi, la sale-vielle-gouine-velue-démodée, trace ton chemin, fais ta vie ailleurs ;


- ce sont ces militant.e.s autoproclamé.e.s radicaux.es qui t'angoissent car iels sont à l'affût du moindre discours qui ne rentrerait pas dans leur norme de radicalité.



L'archétype de la figure non-bienveillante, voire carrément toxique, dans le milieu LGBTQ+, c'est cette personne qui se revendique safe et qui inspire de la confiance et du respect à ses pair.e.s. Alors tu te rapproches d'iel et peu à peu, tu commences à te poser des questions sur celle/celui que tu commençais à considérer comme un.e pote. Parce que, bien qu'iel parvienne à s'entourer d'allié.e.s qui ne semblent pas remarquer ses comportements tordus et ses idées sombres et torturées, toi, tu as perçu que quelque chose ne tournait pas rond. Tu ne sens pas si bien que ça en sa présence. En fait, tu sais que, malgré toi, iel t'a embarqué.e dans un sabotage en bonne et due forme. Tu notes que pour échapper à sa souffrance interne (sans doute liée à son vécu et à sa sensibilité atypique), iel consacre beaucoup d'énergie à la recherche de nouvelles distractions - parfois volontairement malintentionnées. Tu prends conscience que dans son jeu, tu es LA cible parfaite, tu fais figure d'élu.e, de déversoir à temps partiel et de confident.e subtilement manipulé.e. Vos relations communes sont aveugles face au côté pathologique et défaillant de votre lien qui a, pourtant, clairement pris un virage vers la codépendance : iel, le/la dominant.e-manipulateur.e, et toi, le/la dominé.e manipulé.e. Car le/la manipulateur.e-destructeur.e (MD) est un caméléon qui avance sous le voile de son masque le plus crédible.


Ainsi, cette relation prend une tournure néfaste, toxique et destructrice. Le/la MD joue volontairement avec tes sentiments et ton estime de soi. Et en définitive tu persévères à le/la fréquenter. Iel sait appuyer là où ça fait mal pour diriger tes émotions vers ce qu'il y a de plus sordide et de malsain. Ton sentiment de confusion se renforce et, en même temps, le piège se referme autour de toi. En effet, le/la MD ne t'a pas choisi.e par hasard : iel SAIT que ton profil est complémentaire au sien : hypersensibilité, empathie, neuroatypie... Tu absorbes, comme une éponge, les discours de cette personne charismatique. Tu ne le/la perçois pas comme un monstre carnassier, mais comme une personne sensible et fragile à qui il faut venir en aide: "les autres ne le.a comprennent pas, mais c'est différent avec moi".


Les premiers temps de ce type de relations sont marqués par une dynamique unilatérale. Certes, le/la manipulateur.e parvient à gagner ta confiance en te validant dans ton identité et dans tes qualités, et iel fait de toi un.e fidèle allié.e. Au demeurant, cette relation n'est jamais réciproque. Iel réussit, petit à petit, à faire de toi ce que bon lui semble, à l'instar d'un Pygmalion, façonnant sa muse selon ses propres paramètres, sans tenir compte de tes désirs et de tes besoins.


Dans un deuxième temps, le/la MD adopte une habile stratégie de domination : baisse de ton estime de soi par un jeu de remarques discrètes et répétées sur un mode passif-agressif, isolement de ton cercle d'ami.e.s, manipulation de tes affects... Après avoir fait de toi un.e confident.e pendant des semaines, des mois, voire des années, ses positionnements et ses discours te touchent au plus profond de ton être. La toile se tisse à tes dépens. Ton monde intérieur et ton univers extérieur se resserrent autour du MD, qui perçoit tes failles de manière clairvoyante et réactive tes blessures à la manière d'une petite voix qui chuchote le pire.



Ensuite, il s'agit d'une question de prise de conscience. Tu prends du recul pour saisir l'aspect morbide de ta relation avec le/la MD : reproches, sautes d'humeur, communication passive-agressive, choix et décisions imposé.e.s, relation unidirectionnelle, engagement de toute ton énergie et de tout ton temps, parfois de ton argent, dans la relation... La mise à distance du MD n'est pas aisée. Cela nécessite non seulement une extrême lucidité sur la situation, mais aussi une force intérieure et une réelle volonté de couper les ponts. Dans cette phase de distanciation, le/la MD peut accroître son emprise en te détruisant psychologiquement. Cela peut prendre la forme de paroles culpabilisantes et malsaines, de médisances et de diffamations auprès de vos relations communes, de critiques publiques ou encore de cyber-humiliations. Tout ce processus ravageur est réalisé de manière fine et astucieuse, c'est pourquoi vos potes commun.e.s n'ont aucune conscience de la dangerosité de cette dynamique. De plus, le jour où tu parviens à t'opposer à le/la MD, cet dernier.e sera capable de retourner la situation et de se faire passer pour la victime, t'ôtant toute échappatoire.


Il n'y a donc qu'une seule et unique solution pour mettre fin à ce cycle dévastateur et nuisible : fuir. Ce n'est pas être égoïste que de prendre soin de toi et de sauver ta peau. Au contraire. Dans ce genre de cas, la fuite est vitale. Il est alors primordial de revenir aux sources, à ce qui fait du bien, de renouer avec les personnes de confiance positives et optimistes, de reconstruire un tissu social sain, de changer de rythme, de reprendre des projets... Tout ce qui permet alors de reprendre confiance en les autres et de retrouver ton indépendance affective et ton autonomie émotionnelle.



En somme, les théories et les pratiques queer se heurtent non seulement à l’hétéronormativité sociétale, mais également à la reproduction de dominations et d'oppressions, au sein même des espaces-ressources de la communauté LGBTQ+. Il paraît donc primordial de renforcer la sensibilisation à l'écoute, au consentement et au respect des limites de tou.te.s, car il ne peut pas exister de lieux bienveillants si les personnes qui les traversent ne le sont pas iels-mêmes.

 

Annexe : pour approfondir les notions développées dans cet article :

- Thèse de Cha Prieur : Penser les lieux queers : entre domination, violence et bienveillance : Etude à la lumière des milieux parisiens et montréalais. Géographie. Université Paris-Sorbonne, 2015.




Posts à l'affiche
Posts Récents
Archives
Retrouvez-nous
  • Facebook Basic Square
  • Twitter Basic Square
  • Google+ Basic Square
bottom of page