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GreyPRIDE : collectif pour le bien-vieillir des senior.e.s LGBT+.

La problématique du vieillissement des personnes LGBT+ possède des particularités indéniables sans qu'elle soit pour autant un enjeu spécifiquement communautaire. Il s'agit de questions de santé (que deviennent les senior.e.s séropositif.ve.s ?), de visibilité (comment conserver son identité de genre et son orientation en situation de dépendance ou au sein d'établissements d'hébergement conventionnel pour personnes âgées qui ne prennent pas ces données en considération ?) et d'autonomie (comment conserver sa liberté à l'auto-détermination dans une période où les proches et/ou les institutions font des choix à la place des personnes concernées ?). Francis Carrier, militant de longue date pour la cause des personnes LGBT+ et actuel coordinateur du collectif GreyPRIDE, fait le point avec nous.


Pour commencer cet entretien, pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

Je suis gay, séropositif depuis 1984, ancien militant de la lutte contre le SIDA puisque j'ai rejoint AIDES en 87. Maintenant à 62 ans je me préoccupe de la situation des seniors LGBT.


Est-il possible de revenir sur votre parcours et sur les éléments qui vous ont amené à vous investir pour la cause des senior.e.s LGBT+ ?

Depuis quelques années je suis bénévole aux Petits Frères des Pauvres, une association qui s'occupe des personnes isolées. Je vais donc visiter à leur domicile ou dans des maisons de retraite des personnes âgées. Je me suis vite posé la question de la place des seniors LGBT+. En effet, la sexualité, l'orientation sexuelle et l'identité de genre des personnes âgées sont des tabous qui sont rarement abordés.


D'après vous, quel est le sens du vieillissement (notion qui, à l'heure du jeunisme validiste ambiant, effraie autant qu'elle intrigue) ? En quoi la période du "grand âge" est-elle si particulière ?

Les vieux, les vieilles se sont toujours les autres. On maintient à distance cet état pour des raisons évidentes de crainte de son propre vieillissement. Les conséquences sont de transformer peu à peu les personnes âgées en objet que l'on soigne, nourrit, lave, déplace... mais à qui on enlève progressivement toute identité, toute histoire, tout désir.

GreyPRIDE : "mobilisation pour le bien vieillir et contre l'isolement des senior.e.s LGBT". Concrètement, quelles sont les valeurs politiques, les grandes missions et les positionnements du collectif ?

Notre premier but est de rendre visible une population qui s'auto-exclue et qui peu à peu disparaît. Pour pouvoir faire évoluer les comportements, faire émerger des attentes, il faut que cette population existe. Est- ce que vous avez souvent vu des portraits de vieux/vieilles se tenant enlacés, montrant leur orientation sexuelle ? La communauté LGBT+ est sans doute encore plus excluante que la population hétéro. On commence à parler de sexualité des seniors hétéros, mais on est encore loin d'évoquer celles des gays ou des lesbiennes âgé-e-s. Plus généralement, je pense que pour ré-humaniser le grand âge, et faire comprendre à tous et toutes que les vieux veulent aimer, être aimés et être respectés dans leur choix de vie, il est nécessaire de politiser ce débat.


Pouvez-vous faire un point sur ces questions d'après les travaux et les réflexions entrepris.e.s au sein de GreyPRIDE ?

Comme vous le dites toutes ces questions dépassent largement la communauté LGBT+. Le fait de transformer les vieux/vielles progressivement en mineur puis en objet enlève toute humanité à cette population. On choisit pour eux leurs conditions de vie, on limite leurs droits à circuler où ils souhaitent, on réduit progressivement leur vie à ce que le système peut tolérer. Souvent des dispositions de protection sont prises, plus pour protéger l'environnement, les établissements, que pour protéger les personnes elles-mêmes (le principe de précaution est à l'oeuvre). Les maisons de retraite sont pleines de personnes qui ne souhaitent pas y être ! La population LGBT ne s'est pas préoccupée jusqu' à aujourd'hui de cette situation, pourtant elle y sera confrontée de façon encore plus violente : isolement plus marqué, absence de famille, parcours de vie plus difficile, revenus inférieurs, isolement plus marqués, problèmes psychiques plus fréquents...

Redonner le choix de vie aux personnes âgées doit faire l'objet d'un combat politique, pour que notre société comprenne que vieillir ne se réduit pas à des pathologies ; le désir de vivre des personnes reste intact dès l'instant où on les respecte et où on écoute leurs choix.


Quels sont les autres grands questionnements des personnes qui se tournent vers vous pour recevoir des informations et des conseils au sujet du "bien vieillir" ?

Pour l'instant, GreyPRIDE essaie de faire prendre conscience à la communauté LGBT+ que nous allons tous et toutes vieillir et que ne rien prévoir, c'est laisser aux autres nos choix de vie. Pourquoi se battre toute sa vie pour réclamer l'égalité des droits si c'est pour finir oublié-e dans un placard !

L'habitat est la question primordiale. Ou vais-je vieillir ? Avec quel soutien ? Seul-e ou accompagné-e par d'autres ? Est-ce que l'appartement dans lequel je suis me permettra de vivre correctement ?

Les personnes séropositives vieillissantes se posent aussi pas mal de questions sur leur devenir. A ce jour le personnel socio-médical des établissements n'a pas été formé à cette pathologie, et le risque de rejet lié à la méconnaissance et à la crainte d'être contaminé est évident.


Finalement, quelle différence y a-t-il entre la fin de vie d'une personne LGBTQ+ et celle d'un.e personne cis-hétéro lambda ?

La fin de vie est sans doute semblable pour tous et toutes. Mais toute la période qui précède notre mort peut être foncièrement différente selon nos conditions de vie. Vivre une solitude forcée, cacher son histoire, ses relations passées, c'est disparaître avant de mourir. Aujourd'hui les quelques gays que je connais très âgés vivent reclus chez eux, dans la crainte que l'on découvre une partie de leur vie. Je pense que nous devons changer les choses ; nous devons montrer communautairement une solidarité plus marquée aux anciennes générations.

Comme je vous le disais, les seniors LGBT deviennent progressivement invisibles. La crainte d'être identifé-e comme PD, gouine, trans et de subir des remarques ou des violences de ses voisins de chambre ou du personnel, fait que les personnes s'enferment dans le silence ou s'inventent une vague histoire hétérosexuelle. Ne pas pouvoir parler de son orientation sexuelle, c'est devoir cacher sa vie. C'est la grande différence avec le monde hétérosexuel qui peut parler de sa famille, de ses enfants et petits enfants.

Le monde des vieux est un monde dans lequel on devient, aux yeux des autres, asexués ! Puis avec des pertes d'autonomie on devient un mineur, avant de finir comme un objet de soin. C'est inacceptable. Nous sommes des êtres sexués, nous souhaitons aimer et être aimé-e-s jusqu'au dernier jour de notre vie ; que l'on soit hétéro, gay, bi, trans ou lesbienne !


D'après ce que j'ai lu sur le site internet gayandgrey, GreyPRIDE regroupe plusieurs associations et organismes relié.e.s à la communauté LGBT+ : AIDES, Le Kiosque Infos Sida ou encore Acceptess-T, dont la première mission est de soutenir la cause des personnes transgenres. En quoi est-il important que toutes les populations appartenant à la communauté LGBTQ+ soient représentées au sein de GreyPRIDE ? En quoi leurs attentes et leurs besoins diffèrent-ils concernant la préparation des 3ème et 4ème âges ?

A ce jours AIDES, ACTUP, David&Jonathan, Acceptess-T, Bi-Cause, Basiliade, DiversSenior, LesGaysRetraités, Le Kiosque Info Sida et les Bascos ont rejoint le collectif. Comme je dis toujours, GreyPRIDE a de l'avenir, car vous finirez tous et toutes par y venir quelque soit votre identité de genre ouvotre orientation sexuelle.

Les spécificités des LGBT existent et sont liées au parcours de vie. Les gays, les lesbiennes, les trans ont bien sûr des particularités et c'est pour ça que dès le début, GreyPRIDE s'est ouvert à toutes les associations. Je pense que chaque minorité doit se saisir de ses propres difficultés en relation au vieillissement et par la suite venir lutter collectivement avec tous les autres membres de GreyPRIDE.

Comptant parmi les réformes les plus attendues du quinquennat du Président Hollande, la loi portant sur l’adaptation de la société française au vieillissement a été promulguée à la fin de l'année 2015. "Anticiper, Adapter, Accompagner" en sont les trois mots d'ordre. Que pensez-vous du contenu de ce projet gouvernemental ? En quoi les grands axes mis en lumière par cette réforme sont-ils adaptés aux personnes LGBTQ+ qui vieillissent ?

Les enjeux sociétaux liés au vieillissement de la population sont loin d'être à la mesure de ce qui nous attend. Dans quelques années, 1/3 de la population aura plus de 60 ans et vivra encore 20 ou 30 ans. Le nombre de personnes dépendantes passera de 1,2 million à plus de 2 millions.

A cela se rajoute les problèmes économiques. Le montant moyen de la retraite est de 1200€ (pour ceux qui ont une retraite complète) et le prix moyen d'une maison de retraite est de 2500€ (bien plus en région parisienne) ; 2 heures d'une aide à domicile 6 jours par semaine revient à plus de 1100€ alors que l'APA (Aide à l'autonomie des personnes âgées) est au maximum de 620€. L'état se désengage de ce secteur et la Silveconomy essaie de trouver là un secteur de profit.

Tous ces éléments montrent que nous allons vers des moments difficiles et qu'il faudra faire émerger en temps que groupe de pression, des associations de vieux et de vieilles pour pouvoir faire émettre des revendications et réguler un secteur privé pour lequel la rentabilité est le premier critère. Le mouvement LGBT+ a donc aussi son mot à dire, et GreyPRIDE entend bien se positionner comme acteur militant dans ce secteur.


Concernant la problématique du lieu de vie des personnes âgées LGBT+, on voit émerger de plus en plus d'habitats alternatifs, très différents des EHPAD médicalisés et sécuritaires : des coopératives d'habitants ou des résidences autogérées à l'instar de la Maison des Babayagas, fondée par Thérèse Clerc à Montreuil en 2013. Pouvez-vous nous en dire plus ?

A ce jour c'est le monde hétéro qui nous montre l'exemple en s'organisant autour de projets d'habitats coopératifs. Plusieurs immeubles sont en construction pour héberger un groupe de personnes qui souhaitent vieillir ensemble.

Le projet des Babayagas est un peu particulier puisque il s'est articulé autour de la Mairie de Montreuil qui a donné le terrain et l'OfficeHLM qui a financé la construction. Il était réservé à un groupe de femmes militantes, mais sans connotation lesbienne marquée. L'idée originale du projet, d'après mes dernières informations n'est plus totalement respecté et la maison s'ouvre maintenant à des personnes placées par l'office HLM.

A ce jour GreyPRIDE lance un projet de cohabitation de seniors avec la Mairie de Paris et la RIVP. Il s'agit de permettre à un groupe de 3 à 5 personnes qui ont envies de vieillir ensemble, d'être locataires d'un grand appartement parisien (si vous êtes intéressé-e nous écrire à contact@greypride.fr).

Nous pensons aussi à d'autres solutions d'habitats tels que des immeubles avec des appartements et des services communs.


Que pouvez-vous répondre à celles et ceux qui taxent la prise en compte des particularités des senior.e.s LGBTQ+ de communautarisme ?

S'intéresser à la situation des personnes les plus fragiles n'est pas du communautarisme ; c'est prendre en compte leur situation et leur histoire pour trouver des solutions et améliorer leurs conditions de vie. En ce qui concerne le mode d'habitat je milite pour "l'affinitaire" ; c'est à dire le fait de choisir avec qui on a envie de vieillir.

Pourtant les lieux communautaires ne manquent pas aujourd'hui : les maisons de retraite catholiques, protestantes, juives, les établissements liés aux entreprises (anciens de la SNCF, RATP...), les résidences de luxes (où se regroupent les personnes ayant de gros revenus) et même les foyers ADOMA, dans lesquels vivent de plus en plus de vieux migrants qui ne souhaitent pas rentrer au Maghreb.


Selon vous, quelle serait la méthode à privilégier pour conscientiser les jeunes générations de militant.e.s LGBTQ+ autour des questions concernant les senior.e.s ?

Je pense que prendre conscience que les vieux LGBT+ existent et que nous le deviendrons tous un jour ou l'autre est le dernier acte de maturité de notre communauté. Voir des vieux, des vieilles LGBT+, permettra aux jeunes générations de pouvoir réellement se projeter dans leur vie. Il faut sortir du culte du jeunisme et du corps parfait. Ce modèle est excluant pour tous et toutes. La vieillesse apporte ses transformations, mais nous devons les accepter. Le corps change mais le coeur et le mental ne changent pas. Combien de fois j'ai entendu, "je ne suis pas vieux dans ma tête", "je suis toujours jeune" ! Une exposition "Vieillir sans Tabou" que j'ai créée fait actuellement le tour des associations LGBT de province : Toulouse, Bayonne, Bordeaux, Nantes, Strasbourg... C'est l'occasion de faire émerger un questionnement et d'organiser des débats sur ce sujet. Il faut parler sans honte et sans crainte du fait de vieillir.


Quels sont vos priorités au sein de GreyPRIDE pour l'année 2017 ?

Nous avons ouvert une ligne d'écoute le mardi et le jeudi de 16h à 18H : 01 44 93 74 03.

L'exposition "Vieillir sans Tabou" va continuer de circuler dans toute la France. Un Salon de rencontre se tient tous les derniers weekends du mois dans les locaux de Basiliade.

Nous projetons d'organiser une campagne de communication autour du respect de l'intimité des personnes âgées.

Nous proposons le projet de cohabitation de seniors et réfléchissons à d'autres modes d'habitat.

L'équipe Formation est entrain de travailler sur des modules de formation à destination du personnel médico-social.

Plusieurs conférences vont être organisées sur les différents thèmes du vieillissement avec peut-être un colloque final.

Enfin, les projets ne manquent pas, mais leur concrétisation dépendra du nombre de militant-e-s qui nous rejoindrons.

A ce jour la situation des vieux LGBT n'est même pas une question que se posent les acteurs de la fillière gérontologique et les associations LGBT+. Notre premier travail est de faire prendre conscience de ce fait et redonner la parole à une population qui est aujourd'hui invisible.

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